À 30 ans, Coralie Fritsch est aujourd’hui chargée de recherche dans l’équipe Tosca d’Inria, bilocalisée à Sophia-Antipolis et Nancy. Une équipe de matheuses et matheux, hébergée d’ailleurs dans les locaux de l’IECL, l’Institut lorrain de recherche en mathématiques. Ce que la jeune femme apprécie particulièrement dans son métier, c’est le côté interdisciplinaire. Cinq mois après son arrivée dans l’équipe, elle est déjà impliquée dans trois gros projets.
Un premier projet avec l’INRA de Champenoux, dont la mission est d’estimer (grâce aux statistiques !) la vitesse de propagation de la chalarose, une maladie provoquée par un champignon qui affecte plus particulièrement les frênes. Et pour cela, elle doit tenir compte de plusieurs paramètres comme la densité des frênes, la température extérieure ou bien encore le taux d’humidité.
Un second projet lui permet de travailler cette fois-ci dans le domaine médical, avec des chercheurs de l’Institut de cancérologie de Lorraine. Sa passion pour les probabilités l’amène à modéliser des cellules cancéreuses sensibles aux thérapies ciblées - c’est-à-dire aux thérapies qui ciblent certains types de cellules cancéreuses dans le but de bloquer leur prolifération - et résistantes à la thérapie.
Mais les probabilités la conduisent aussi à un projet plus inattendu, qui consiste à modéliser la propagation de l’émotion dans une foule, et plus particulièrement dans un stade de football ! Parce qu’au final, le type de modèle utilisé est plus ou moins identique à celui de la propagation d’une épidémie ! Et pour mener ses recherches dans ce domaine, c’est avec une startup lorraine qu’elle travaille.
L’environnement, la biodiversité, la médecine, le football : difficile a priori de trouver un dénominateur commun. Pour Coralie, c’est une évidence ! À chaque fois une même démarche qu’elle apprécie particulièrement : quelqu’un lui présente un problème à résoudre, lui explique le contexte et ce sont les mathématiques (les probabilités) qui lui permettent d’adapter des modèles en fonction des problématiques de ses interlocuteurs.
Quelles ont été tes motivations à t’orienter vers les sciences, et plus spécifiquement vers les sciences du numérique ?
Très tôt, j’ai eu un goût prononcé pour les probabilités. Après un bac S à Metz, spécialité physique-chimie (pour le côté maths appliquées) et une L1 maths-info-mécanique, j’ai hésité entre les maths et la mécanique (l’étude physique de la mécanique), et j’ai choisi de poursuivre en maths. Une des possibilités pour la suite était de devenir professeure de maths, mais les circonstances m’ont fait découvrir des possibilités auxquelles je n’avais pas pensé ! Et j’ai ainsi choisi de faire mon master 2 à Toulouse pour me spécialiser en probabilités, avec comme issue possible l’aéronautique.
À cette époque, je n’avais pas encore pensé aux débouchés en biologie ou en médecine, que j’ai découverts durant ma recherche de sujets de thèse, mais l’aéronautique me plaisait bien ! Puis je suis partie pour Montpellier faire ma thèse, financée par l’INRA. Les probabilités m’ont servi à proposer de nouveaux modèles de chemostats, des bioréacteurs utilisés pour dégrader des polluants avec des microalgues ou des bactéries.
Ma thèse terminée, dont un séjour de trois mois à Helsinki pour collaborer avec un écologue, j’ai intégré l’équipe Tosca pour un postdoc qui a duré seize mois. J'ai également tenté ma chance dans le privé, dans une startup qui travaillait dans la recherche contre le cancer et cherchait une composante modélisation dans son équipe. Malheureusement, l'entreprise s’est séparée de l’équipe biostatistique pour raisons financières avant que j'intègre l'équipe.
J’ai passé le concours de chargée de recherche chez Inria l’été dernier. Je me suis vraiment battue pour l’obtenir car parmi tous les postes auxquels j’ai postulé, c’est celui que je voulais en priorité !
Que penses-tu de la position des femmes dans les professions scientifiques ? Les choses ont-elles évolué ?
Pour ma part, je n’ai jamais subi de discrimination liée au fait que je suis une femme, mais des personnes de mon entourage ont été malheureusement moins chanceuses que moi…
Je constate aussi qu’on recrute de plus en plus de femmes dans des secteurs historiquement plutôt masculins et ça c’est une bonne chose ! Dans mon équipe et pour ne parler que des recrutements d’Inria Nancy, la parité est assurée : deux femmes et deux hommes sur postes pérennes. Je travaille beaucoup avec l’équipe BIGS, dans laquelle les femmes sont aussi très présentes.
C’est important de faire évoluer les mentalités pour permettre aux femmes d’être plus présentes dans les professions scientifiques. Mais nous devons également faire attention à ne pas tomber dans certaines dérives et veiller à ce que les femmes soient reconnues avant tout en tant que scientifiques !
Penses-tu que les filles, encore aujourd’hui, s’autocensurent par rapport aux filières scientifiques ?
Je ne me suis jamais censurée. Il est vrai que lorsque j’ai débuté la fac, j'avais en tête que les études de maths étaient une filière un peu plus masculine, mais cela ne me posait pas de problème. Sans métier précis en tête, je voulais faire des maths, ou une filière en lien avec les maths appliquées. C'est donc la filière que j'ai choisie !
Les mentalités semblent évoluer dans le bon sens et la société évolue aussi pour laisser plus de place aux femmes. Mais pour cela, il est important de communiquer avec les scolaires pour éviter l’autocensure et informer des possibilités que ces filières proposent.