Un site au rôle majeur dans le quantique
Quelles sont les forces et les faiblesses de l'informatique quantique ? Et comment utiliser au mieux les particules élémentaires naturelles (photons, électrons, atomes…) pour donner naissance aux calculateurs quantiques de demain ("quantum computers" en anglais), qui devraient être beaucoup plus rapides et performants que les ordinateurs actuels ? Ces questions, en attente de réponse, sont prioritaires pour Inria. Elles ont motivé la création de l'équipe-projet QuaCS ("Quantum Computation Structures" en anglais, soit "structures de calcul quantique" en français), commune au centre Inria de Saclay, à l'université Paris-Saclay, à CentraleSupélec, au CNRS et à l'ENS Paris-Saclay.
L'équipe devrait tirer des bénéfices de son implantation sur le plateau de Saclay qui joue un rôle majeur dans le quantique. Pas moins de 30 à 40 % des expériences significatives en mécanique quantique seraient menées à cet endroit, où se concentrent plus de 80 équipes de recherche conduites par des institutions académiques et de grands industriels. Pablo Arrighi, responsable de l'équipe-projet, est aussi l'un des copilotes du centre Quantum Paris-Saclay, un pôle de compétences sur l'informatique quantique. « Avec QuaCS, nous espérons apporter des compétences en informatique théorique quantique à ce pôle, dont les actions sont pour l'instant surtout centrées sur la physique expérimentale », indique-t-il. En retour, l'équipe devrait être aux premières loges pour nouer de nouveaux partenariats avec les grands noms de ce domaine.
Utiliser la mécanique quantique
« Un ordinateur quantique utilise les propriétés quantiques pour effectuer des calculs », précise Pablo Arrighi, responsable de cette nouvelle équipe-projet hébergée par le LMF (Laboratoire méthodes formelles) sur le campus de l'université Paris-Saclay. Contrairement à ce qu'il se passe avec un ordinateur classique, qui code les informations de façon binaire (0 ou 1) à l'aide d'un ou plusieurs microprocesseurs, les données sont ici traitées par le biais d'une matière régie par les lois de la physique quantique (ion, proton, atome…), à l'échelle de l'infiniment petit.
Premier avantage : les données peuvent être codées avec un 0, un 1, ou avec un mélange des deux (une superposition quantique). Ce qui dans certains cas permet de traiter un très grand nombre de données de façon simultanée ou d'effectuer des calculs en parallèle. Deuxième bénéfice : les "qubits" ou "bits quantiques" (le cœur et l'unité de mesure de base d'un système quantique) sont parfois "intriqués" et ils sont donc en mesure de disposer de données corrélées de façon instantanée.
Améliorer la programmation quantique
Pour Pablo Arrighi, trois principaux domaines d'application devraient bénéficier du potentiel accru de calcul offert par les systèmes quantiques : la cryptographie, la simulation et l'algorithmique. Mais plusieurs enjeux doivent d'abord être relevés en matière de recherche, notamment en ce qui concerne l’identification des structures importantes pour programmer les ordinateurs quantiques. « En informatique, ces structures correspondent à des façons de séquencer les instructions d’un programme, quel que soit le langage de programmation utilisé (je pense aux boucles "while" ou "if" en programmation classique), précise ce spécialiste. QuaCS cherche à identifier et définir les structures de base de la programmation quantique. »
Et ce, afin de pouvoir aller plus loin qu'avec les langages machines quantiques déjà développés et mis à disposition par plusieurs entreprises : IBM propose par exemple QisKit et Microsoft Q#. « Il est possible d'utiliser ces langages pour envoyer une instruction, ou une séquence d'instructions, à un ordinateur quantique », ajoute Benoît Valiron, cofondateur de l'équipe-projet QuaCS, qui est actuellement composée de six chercheurs permanents, un postdoctorant et quatre doctorants.
Le but serait de pouvoir envoyer des instructions de plus haut niveau et si possible de les packager dans des blocs, qui pourront être adaptés aux capacités de la machine qui les exécute.
Corriger les erreurs
Par ailleurs, les chercheurs de QuaCS souhaitent identifier des éléments nouveaux, propres au calcul quantique. Il s'agit, par exemple, de l'utilisation des propriétés quantiques de la matière (la superposition, l'intrication et la non-localité) afin d'effectuer un très grand nombre d'opérations sur les données. « Nous sommes les premiers à avoir suggéré de faire des superpositions quantiques d’ordre, par exemple, ce qui s’avère utile pour résoudre plus rapidement certains problèmes de calcul », explique le chercheur.
Les recherches de QuaCS portent en outre sur l'optimisation des circuits quantiques « pour lutter contre le "bruit" », détaille de son côté Pablo Arrighi. Car les qubits ont un inconvénient majeur : ils peuvent perdre un certain nombre de propriétés quantiques au contact de l'environnement, et donc entraîner des erreurs dans les calculs (on parle aussi de décohérence). Cependant, la théorie de la correction d’erreur quantique est elle-même très gourmande en qubits. Il est donc impératif d’optimiser drastiquement ces circuits. L'objectif sera de développer une théorie de l’optimisation de ces circuits, qui permette de tirer le meilleur parti des exploits réalisés par les physiciens pour isoler un maximum de qubits.
Un impact industriel
Les recherches de l’équipe-projet QuaCS suscitent déjà l'intérêt de startups et de grandes entreprises. C'est le cas de Quandela, une entreprise francilienne spécialisée dans le développement d’émetteurs de qubits photoniques, sous la forme de photons uniques, avec laquelle un axe de collaboration commune est en cours de développement. C'est aussi le cas d'Atos, qui a financé un doctorant en thèse CIFRE (Convention industrielle de formation par la recherche) pour collaborer sur le développement d'algorithmes théoriques en lien avec la compilation quantique. Au vu des sollicitations actuellement à l'étude, ce n'est qu'un début.
Biographies de Pablo Arrighi et Benoit Valiron
Pablo Arrighi
Franco-uruguayen, Pablo Arrighi a effectué ses études supérieures au Royaume-Uni. Il obtient un doctorat sur l'informatique quantique (ses applications pour la cryptographie) à l'université de Cambridge en 2003, avant d'enseigner à l'université Grenoble Alpes de 2005 à 2014, en qualité de maître de conférences. Il est professeur des universités à l'université Aix-Marseille de 2014 à 2020, puis rejoint l'université Paris-Saclay et le LMF à la rentrée 2020. Il devient responsable de QuaCS début 2022.
Benoit Valiron
Après avoir obtenu un doctorat sur l'informatique à l'université d'Ottawa en 2008 (sur la sémantique des langages de programmation quantique), Benoit Valiron a enchaîné plusieurs postdoctorats (chez Inria, à l'Université Grenoble Alpes, à l'Université Sorbonne Paris Nord et à l'université de Pennsylvanie, aux États-Unis). Il est enseignant-chercheur à CentraleSupélec depuis 2015 et chercheur attaché au LMF au sein de l’équipe QuaCS.
En savoir plus sur les recherches actuelles en informatique quantique
- Quantique : anticiper les évolutions de l’informatique de demain, Inria, 23/2/2022.
- Une informatique à réinventer pour le calcul quantique, CNRS Le Journal, 4/3/2021.
- QuantumTech@Inria, l’excellence scientifique au service du futur de l’informatique quantique, Inria, 13/9/2021.
- Une preuve de l’avantage de l’ordinateur quantique, Pour la science, 17/1/2019.
- Débat sur "l’ordinateur quantique", en présence de Benoît Valiron, France Inter (La tête au carré), 15/3/2016.