De fournisseurs à acteurs de l’informatique quantique
En 2017, trois physiciens, chercheurs à l’Université Paris-Saclay, créent la spin-off Quandela. Leur projet initial ? Valoriser le produit de leurs recherches : une source de "photons uniques" capable d’émettre des grains de lumière un à un. Ces photons constituent une des voies les plus prometteuses pour mettre au point des ordinateurs d’un nouveau genre. Ces ordinateurs "quantiques" s’appuient sur les propriétés physiques du monde microscopique pour réaliser des opérations inaccessibles à nos ordinateurs actuels.
Rapidement cependant, Quandela ne se satisfait pas d’être un simple équipementier pour d’autres laboratoires de recherche. La startup veut participer à l’avènement de l’informatique quantique dont les capacités, notamment en termes de vitesse de calcul, vont révolutionner nombre de pans de nos vies : de la cryptographie aux communications, en passant par la simulation informatique des flux boursiers ou des molécules chimiques, ou encore l’amélioration des matériaux industriels.
Calculer en utilisant les propriétés des photons
À l’automne 2020, l’équipe en pleine croissance est rejointe par un chargé de développement de l’algorithmie quantique. Car non contente de reposer sur une base physique complètement différente de l’informatique classique, l’informatique quantique fait également appel à des techniques de calcul entièrement dédiées. Devenu depuis directeur de la recherche de Quandela, Shane Mansfield est un théoricien de l’informatique quantique issu de la recherche publique.
« Notre travail avec des photons peut faire penser à des données physiques, mais ce que l’on vise à la fin, c’est de l’informatique, précise-t-il. On utilise les propriétés particulières de la physique quantique pour mener des types de calculs auxquels on n’a pas accès avec un ordinateur classique. »
Et de ce point de vue, les photons se révèlent particulièrement intéressants. Car là où dans les autres technologies d’informatique quantique, les unités portant l’information quantique, les "qubits", sont statiques, les photons se déplacent, eux, à la vitesse de la lumière. En s’appuyant sur ces propriétés natives, Shane Mansfield et son équipe ont ainsi déjà démontré que, pour des applications d’apprentissage automatique, la photonique quantique permet des calculs plus poussés que certaines autres approches de calcul quantique.
Verbatim
On utilise les propriétés particulières de la physique quantique pour mener des types de calculs auxquels on n’a pas accès avec un ordinateur classique.
Directeur de la recherche Quandela
Une relation de longue date qui aboutit à un partenariat industriel
Afin d’étudier la façon de formaliser les propriétés des photons pour le calcul quantique, Shane Mansfield se tourne début 2021 vers Benoît Valiron, un ancien collègue qu’il a rencontré durant sa thèse à Oxford au début des années 2010. Cofondateur de l’équipe-projet QuaCS (Quantum Computation Structures) commune à Inria, l'Université Paris-Saclay, CentraleSupélec, ENS Paris-Saclay et au CNRS, au sein du LMF, celui-ci est également enseignant-chercheur à CentraleSupélec depuis 2015. Ainsi, il « encadre régulièrement des élèves ingénieurs qui s’engagent dans un parcours pour se familiariser avec le monde de la recherche », précise-t-il.
Lorsque Shane Mansfield le sollicite, il accompagne depuis deux ans et demi un jeune élève ingénieur, Nicolas Heurtel, qu’il a initié au calcul quantique. Son stage de fin de cycle, qui débute en mai 2021, est l’occasion idéale pour lancer une collaboration officielle entre Quandela et QuaCS.
Du point de vue de la startup, QuaCS constitue un élément majeur de l’écosystème très riche de l’informatique quantique français. « C’est une chance de pouvoir bénéficier d’experts de très haut niveau pour nous accompagner sur des questions de recherche plus fondamentales », note Shane Mansfield.
De son côté, Benoît Valiron, voit son travail de recherche facilité par le rôle joué par Shane Mansfield : « Il fait très bien l’interface pour reformuler avec un œil d’informaticien des questions issues de la physique ». À l’été 2021, le stage de Nicolas Heurtel chez Quandela est d’ailleurs suivi par une thèse Cifre sous la codirection des deux chercheurs et de Pablo Arrighi, responsable de l'équipe QuaCS et professeur à l'Université Paris-Saclay.
Un langage pour représenter la photonique quantique
Premier résultat issu de cette collaboration : la publication d’un algorithme de prédiction et de simulation du comportement des photons lorsqu’ils passent dans des circuits photoniques. Issu de l’algorithmie classique, cet outil peut tourner sur des ordinateurs de bureau, et sert à concevoir et tester des algorithmes, des protocoles informatiques et même du hardware avant fabrication. Adossé à une large base de données de résultats précalculés, il améliore la rapidité de calcul. Il a d’ailleurs été implémenté sur Perceval, le simulateur de plates-formes photoniques open source de Quandela.
Mais le fruit de cette collaboration ne se limite pas à la simulation. Du fait de la grande complexité des calculs impliqués dans la construction des circuits d’informatique quantique, la communauté scientifique a développé un langage graphique pour les représenter, et visualiser plus facilement d’éventuelles erreurs ou redondances. Cependant, un tel langage n’existait pas jusqu’ici pour la photonique quantique. Les deux chercheurs ont donc fait appel à un collègue spécialiste des langages graphiques, Simon Perdrix, responsable de l’équipe-projet MOCQUA, commune Inria, Loria, Université de Lorraine et CNRS, au centre Inria Nancy – Grand Est, qu’ils avaient également rencontré durant leur formation. Ensemble, avec leurs doctorants respectifs Nicolas Heurtel et Alexandre Clément, ils ont proposé un langage formel pour l’optique linéaire, utilisé notamment pour l’optimisation des circuits photoniques.
Un pas après l’autre sur le chemin de l’informatique quantique
Quelle sera l’étape suivante de cette collaboration ? Benoît Valiron l’anticipe déjà : « Plutôt que de travailler avec des photons, on veut travailler avec de l’information. Comment va-t-on l’encoder au mieux ? Avec un photon ? Plusieurs ? En fonction du nombre de photons utilisés ? De leur position ? »
Dans ce but, il sera nécessaire d’étendre la réflexion sur l’optique linéaire à un cadre plus général, d’introduire des délais, des états d’intrication… « Grâce à la qualité des photons produits par la technologie de Quandela, le cheminement vers l’informatique quantique à grande échelle semble vraiment abordable », souligne Shane Mansfield. Un chemin qui promet d’être long, mais passionnant. Actuellement, la startup travaille sur des sources capables d’émettre des photons directement dans des états quantiques. Une affaire à suivre…
Quandela
Fondée en 2017 par trois physiciens, la spin-off Quandela commercialise une source capable d’émettre des impulsions lumineuses dont chacune ne contient qu’un seul photon. À partir de cet élément clé de l’informatique photonique, l’entreprise développe un ordinateur quantique utilisant les photons comme supports de l’information numérique, ce qui permet d’envisager des manipulations d’information inaccessibles à l’informatique classique.
Basée à Massy, cette pépite française vient de mettre à disposition le premier ordinateur quantique européen accessible dans le cloud. Si les capacités de celui-ci sont encore limitées, les perspectives de développement sont vertigineuses, allant même jusqu’à la possibilité de créer un internet quantique.
En savoir plus
- QuaCS se prépare à l'avènement de l'informatique quantique, Inria, 12/4/2022.
- Photonique, l’atout de Quandela dans la course à l’ordinateur quantique, BpiFrance, 18/1/2022.
- Ordinateur quantique : comment progresse ce chantier titanesque en pratique, The Conversation, 4/10/2022.
- Une informatique à réinventer pour le calcul quantique, CNRS Le Journal, 4/3/2021.