L’agriculture numérique en quête de précision
Alors que le numérique a pris place depuis plusieurs années déjà dans le monde de l’agriculture, les technologies agricoles intelligentes existantes, qui doivent décider à chaque instant de l'action à effectuer tout en tenant compte des données existantes, mais aussi des connaissances sur la culture des plantes, des lois, des règlements et des spécifications de l'exploitation, se retrouvent aujourd’hui face à leurs propres limites. En cause : des données, sur lesquelles elles doivent s’appuyer, souvent incomplètes ou entachées d'erreurs, ou des contextes parfois très différents ne leur permettant pas d’exploiter les données correctement.
La distinction entre les adventices (communément appelées "mauvaises herbes") indésirables et celles qui devraient être épargnées parce qu'elles rendent divers services écosystémiques, dépasse, par exemple, les capacités technologiques actuelles. Les systèmes autonomes ne peuvent pas non plus identifier de manière robuste les plantes à partir des données des capteurs, ni savoir quelle variété de plante est ou n'est pas une adventice inoffensive voire bénéfique pour une culture donnée dans un état donné.
Des compétences complémentaires pour une IA adaptée à un domaine complexe
C’est partant de ce constat qu’est né le projet R4Agri (Reasoning on Agricultural Data), fruit de l’accord qui unit Inria et le DFKI autour de réflexions et de travaux communs sur l’intelligence artificielle. « L'idée était de voir si nous pouvions combiner nos compétences respectives pour attaquer de nouveaux problèmes liés à l'agriculture numérique », explique Marie-Laure Mugnier, coresponsable du projet, avant d’ajouter « nous nous sommes découvert un intérêt commun pour l'intégration de données hétérogènes grâce à une couche sémantique permettant de les interpréter, intégrer, analyser, afin de fournir des services de haut niveau. »
Trois équipes ont donc été impliquées dans ce nouveau projet : l'équipe Inria BOREAL (anciennement GraphIK), spécialisée dans les langages de représentation de connaissances et les techniques de raisonnement automatique pour l'exploitation de données hétérogènes, et deux équipes du DFKI, l'une, PBR, sur le contrôle de robots par des techniques d'intelligence artificielle, et l'autre, SDS, sur le développement de technologies sémantiques pour l'exploitation de grandes sources de données multimédia. Ces deux équipes ayant une expérience significative dans le développement d'applications pour l'agriculture numérique.
Verbatim
Les deux équipes du DFKI apportent des compétences fortement appliquées et orientées vers le transfert, tout en ayant la volonté de développer des techniques suffisamment génériques pour qu'elles puissent s'appliquer dans divers contextes applicatifs. Elles ont aussi des données en provenance de nombreux projets. Nous apportons des compétences de nature plus fondamentale et voyons l'agriculture numérique comme un champ d'application riche de défis.
Coresponsable du projet
Un tremplin vers de nouveaux projets de recherche européens
L’objectif du projet : fournir un cadre, aux sens théorique, algorithmique et logiciel, pour intégrer et interpréter diverses sources de données existantes (données de capteurs provenant de machines agricoles, données satellitaires et météorologiques, données scientifiques sur les plantes, etc.) dans un langage de haut niveau permettant des raisonnements. En d’autres termes : permettre aux technologies agricoles d’interpréter les données avec plus de précision, afin de prendre les bonnes décisions.
« Les données brutes issues de capteurs sont par nature quantitatives, de granularité variable, entachées d'erreurs, et nécessitent donc d'être interprétées et fusionnées pour pouvoir être transformées en des informations de plus haut niveau. En pratique, ceci se fait par des techniques plus ou moins ad hoc, nous voulons passer à une approche plus générique et déclarative, prenant en compte de façon explicite le contexte d'interprétation. En effet, une même donnée ne s'interprète pas de la même façon selon ce que l'on connaît déjà sur le contexte », précise Marie-Laure Mugnier.
Le projet, débuté en janvier 2022, est encore en cours de structuration. Conformément à sa nature de recherche fondamentale, les résultats de R4Agri consisteront principalement en des publications conjointes dans des revues scientifiques. Les résultats obtenus pourront, ensuite, servir de tremplin pour d'autres projets à une échelle européenne, dans le domaine de l'agriculture intelligente et de la robotique agricole. « Et bien sûr, l'impact sociétal des applications de l'IA à l'agriculture est immense », conclut Marie-Laure Mugnier.