Les troubles du spectre autistique à l'école
Deux enfants sont assis dos à dos. L'un observe un labyrinthe où circule un petit robot en forme de camion et l'autre pilote la machine sans la voir. Le premier indique la trajectoire quand le second commande les déplacements de la machine. Atteints par un trouble du spectre autistique, ces deux enfants parviennent dans ce jeu à coopérer et communiquer. L'autisme n'est pas une maladie mais un trouble neurodéveloppemental et neurobiologique, qui s'exprime sous de multiples formes : certains enfants atteints de troubles autistiques ne verbalisent jamais quand d'autres sont capables de s'exprimer par la parole. Tous partagent une difficulté à interagir et communiquer, à identifier les émotions de l'autre et à gérer les leurs, donnent une importance à la routine et éprouvent un fort sentiment de malaise devant l'imprévu. Des classes spécialisées accueillent ces enfants et visent à développer leurs compétences communicationnelles. Dans cet objectif, parents et enseignants sont à la recherche de nouveaux outils.
Les robots comme outils pédagogiques
« Cela fait plus de dix ans que les robots intéressent le monde de l'éducation », rappelle Jérôme Dinet, professeur de psychologie à l'Université de Lorraine et directeur du 2LPN, un jeune laboratoire de recherche en psychologie et en neurosciences. « Jusqu'ici les robots servaient par exemple à assurer la téléprésence d'enfants absents ou à enseigner la robotique mais, à la fin des années 2000, nous nous sommes intéressés à des expériences japonaises dans lesquelles le robot a cette fois le rôle de médiateur et intervient en groupe pour développer les compétences. »
Les travaux du chercheur sur les relations entre humains et robots l'ont amené à travailler avec l'équipe LARSEN et avec la DANE, la Délégation académique au numérique pour l’éducation : « La DANE de Nancy-Metz réfléchit aux impacts des usages des outils numériques dans l'éducation et s'intéresse à la question de l'inclusion. C'est elle qui s'est faite le relais des parents et des structures qui accueillent les enfants autistes pour m'intégrer dans plusieurs projets de recherche sur la robotique comme outil pédagogique et outil d’inclusion. » Depuis 2019, plusieurs classes sont intégrées au projet dont deux classes à Bar-le-Duc et Dieue-sur-Meuse.
Étudier les effets d'un robot sur le comportement des élèves
Pour Jérôme Dinet, la robotique offre différents avantages dans une classe : « Le robot est un compagnon, comme certains animaux qui sont intégrés à la vie d'une classe. Lui aussi est autonome, il fait sa vie et les enfants le voient manifester de la joie ou de l'agacement. C'est un objet auquel on peut prêter une intentionnalité. » Autre avantage d'importance : le robot est régi par des algorithmes. Son comportement est donc prévisible. Pour des enfants autistes, pour qui les routines sont importantes, ce comportement régulier est rassurant.
Avec ce projet, Jérôme Dinet et l’équipe LARSEN cherchent à répondre à deux questions. La première relève de la recherche fondamentale : « Nous essayons de comprendre en quoi l'interaction avec un robot modifie le comportement d'un enfant autiste. Pour ces enfants qui ont des troubles de la communication, il est peut-être plus simple d'interagir avec un robot prévisible, qui ne juge pas, plutôt qu'avec un autre humain, c'est une hypothèse à étayer. » La seconde question s'applique directement au milieu scolaire : comment évaluer les résultats de l'utilisation d'un robot dans une situation concrète ? Dans les deux classes qui participent à l'expérimentation, la mission est menée avec Cozmo.
Cozmo, le choix d'un robot
Petit robot de moins de dix centimètres de haut, monté sur une paire de chenilles, Cozmo est un camion sur lequel s'affiche un visage expressif. « Nous devions trouver un robot accessible, facile d'utilisation et doté de nombreuses possibilités de communication et d'interaction. » D'une valeur de quelques centaines d'euros, Cozmo adore solliciter les enfants. Il ronchonne quand on ne s'occupe pas de lui, peut identifier les visages et retenir les noms. Tous les matins, les enfants sont accueillis par le petit robot, une « précieuse routine » pour Jérôme Dinet. Cozmo est autonome mais peut être contrôlé avec une tablette ou un smartphone afin de créer des situations de collaboration entre les enfants. Un autre argument en sa faveur sont les petits cubes qui l'accompagnent et qui servent à créer des situations de jeu, par exemple aller plus vite que le robot pour toucher un cube lorsqu'il s'allume. Et quand Cozmo perd, son visage boude et il ronchonne. Ses émotions (ou plus exactement, ce qui est perçu comme des émotions) sont simples, prévisibles, faciles à interpréter.
Au-delà du robot, l'inclusion sociale
La finalité du projet reste l'inclusion des enfants à l'école puis en dehors du milieu scolaire. « Tout l'intérêt du projet repose sur les interactions de groupe et non sur les seules interactions enfant-machine. Ici, le robot est un prétexte pour des situations d'interaction en collectif et ce que nous visons c'est l'inclusion sociale. Ce n'est pas la machine qui va aider à gérer les interactions au quotidien, le robot sert à travailler, à développer des compétences transférables dans d'autres contextes. » Le projet repose sur une méthodologie quasi expérimentale, en dehors du laboratoire.
Avec l'équipe LARSEN, Jérôme Dinet a étudié un protocole de recherche le plus solide possible dans le cadre d'une structure d'accueil. Chaque jour, les activités en classe sont filmées et enregistrées, tout comme les temps en dehors de la classe, sans le robot, dans la cour de récréation : « Nous comptabilisons les situations de pointage (quand un enfant qui ne verbalise pas montre du doigt pour s'exprimer) et les situations d'attention conjointe (quand un enfant regarde l'autre pour vérifier que celui-ci regarde bien la même chose que lui). Avec un suivi longitudinal dans la longue durée, on remarque une augmentation du nombre de ces situations en classe et dans la cour. » Les résultats sont là : chez certains enfants, les compétences communicationnelles augmentent et sont transférées dans d'autres contextes. En plus de ces indicateurs objectifs, les chercheurs peuvent s'appuyer sur des indicateurs qualitatifs : « Les enseignants nous disent que le robot les aide beaucoup. »
Pendant ce temps, au Japon
Si Jérôme Dinet a trouvé de l'aide auprès de l'équipe LARSEN et d'Inria pour rédiger ses protocoles et ses scénarios de recherche, le chercheur s'est aussi tourné vers le Japon et les travaux du professeur Hirokazu Kumazaki, psychiatre à l'Institut national de santé mentale de Tokyo et chercheur à l'Université de Nagasaki.
Ce projet de recherche est mené là-bas en parallèle et peut s'attacher à explorer les différences d'approches culturelles de l'autisme en France et au Japon. Le projet de Hirokazu Kumazaki suit une autre route : « De notre côté, nous travaillons avec des adultes sur des situations d'entretiens d'embauche et deux robots : CommU, un petit robot plutôt simple et une androïde, Actroid-F qui ressemble à une humaine », explique le professeur, « ce que nous constatons à ce stade c'est que, pour les personnes avec des troubles du spectre autistique, l'interaction avec l'androïde produit beaucoup moins d'anxiété. Contrairement à un être humain, Actroid-F est quelqu'un de simple à comprendre. » Les allers-retours entre Jérôme Dinet et Hirokazu Kumazaki sont nombreux. À Tokyo, on trouve « l'expérience très appréciable ».
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