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« Innover pour un monde plus durable devient une nécessité, en particulier dans le domaine du numérique »
Une fois son bac en poche, Romain Rouvoy ne voulait pas faire de longues études… Passionné d'informatique, il s'est donc engagé dans un DUT, puis dans un master professionnalisant.
C'est là qu'il a été mordu par le virus de la recherche qui ne l'a plus lâché. Après une thèse et un postdoctorat de deux ans à l'université d'Oslo, il rejoint l'université de Lille en 2008, où il sera d'abord maître de conférences puis professeur.
La même année, il intègre l'équipe-projet ADAM du centre Inria Lille – Nord Europe qui deviendra Spirals (Self-adaptation for distributed services and large software systems) en 2012 et dont les domaines d’expertise sont les systèmes répartis et le génie logiciel.
C'est en 2010 que le jeune chercheur commence à s'intéresser à la problématique du logiciel durable. « Le point de départ est le projet EcoHome, mené en collaboration avec Orange et ST Microelectronics, se souvient Romain Rouvoy. L'enjeu était de mieux comprendre la consommation des box domestiques pour envisager des pistes pour mieux la maîtriser. » Cette première expérience sert de révélateur : l'équipe et le chercheur prennent conscience de l'importance de la part imputable au logiciel dans les dépenses énergétiques globales des systèmes informatiques.
« La consommation liée au matériel en lui-même est un sujet de préoccupation qui n'a fait que croître ces dernières années et les fabricants ont su se mettre en mouvement, par exemple en concevant des processeurs beaucoup moins gourmands que leurs prédécesseurs. Mais il n'en va pas de même pour les couches logicielles, en particulier dans l'univers des hébergeurs et du cloud computing où la consommation peut être l'une des composantes du business model des entreprises : plus elles consomment et plus la facture augmente ! »
Fort de ce constat Romain Rouvoy a choisi de concentrer ses recherches sur la réduction de la consommation des logiciels en privilégiant une approche globale et transversale, s'intéressant à l'ensemble du cycle de vie du produit, de sa conception à son exécution. Dans un premier temps, il s'est concentré sur le développement d'un wattmètre virtuel, baptisé PowerAPI , qui permet de mesurer la consommation de chaque logiciel s'exécutant sur une machine afin de savoir, par exemple, quelle application arrêter en priorité quand on n’a plus de batterie. Disponible sur GitHub , ce logiciel open source est actuellement utilisé par Orange ainsi que par des acteurs tels que Davidson consulting et Greenspector .
Aujourd'hui, la deuxième étape vise à favoriser l'émergence de logiciels plus efficients en énergies.
« Nous voulons mettre au point une suite d'outils susceptibles d'aider les développeurs à créer des programmes "écoconçus", qui utilisent mieux les fonctionnalités matérielles disponibles », ajoute Romain Rouvoy. Dans cette perspective, l'équipe Spirals s'intéresse particulièrement aux langages de programmation, sachant que, pour une même application, la consommation logicielle peut varier d'un facteur 100, selon qu'on choisit par exemple un langage comme C ou Java ou un langage interprété comme Python ou JavaScript .
« Parallèlement, nous nous penchons également sur les fonctionnements des systèmes, à travers des travaux destinés à optimiser le placement des machines virtuelles sur les machines physiques afin de fluidifier et optimiser l'accès aux ressources partagées. Enfin, nous travaillons aussi dans le domaine de l'intelligence artificielle - dont les algorithmes sont très gourmands – et dans celui des smart grids, notamment au travers d’échanges avec la société Qarnot Computing qui développe des radiateurs numériques où les résistances traditionnelles sont remplacées par des processeurs qui chauffent des logements grâce aux calculs qu'ils effectuent. »
Romain Rouvoy, professeur en informatique - université de Lille
* Depuis la publication initiale de cet article, une révision des estimations indique que la consommation serait plutôt estimée à 1%, ce qui représente tout de même une consommation annuelle de 205 TWh. Cette évolution s’explique notamment par le fait que les opérateurs de data centers ont pris conscience de la situation et ont fait de très nombreux efforts autour de la réduction de leur PUE (indicateur d'efficacité énergétique). Par exemple, un acteur du cloud comme OVHcloud a notamment réduit son PUE à 1,15 pour certains de ses data centers quand la moyenne européenne est au dessus de 1,3.
« Innover pour un monde plus durable devient une nécessité, en particulier dans le domaine du numérique »