Lancée par Inria avec plusieurs partenaires, cette initiative vise à susciter des vocations chez les lycéennes et lycéens. Elle accompagne la mise en place de nouveaux enseignements, Sciences numériques et technologique (SNT) introduit dans le tronc commun en classe de seconde et la spécialité Numérique et sciences informatiques (NSI) proposée en première et terminale. Premiers retours d'expérience à Rennes…
Le projet
À l'origine du projet : Bruno Sportisse, président-directeur général d'Inria, et Serge Abiteboul, alors président de la Fondation Blaise Pascal.
L'objectif : donner aux élèves l'envie de s'engager vers les sciences numériques. Constat de départ : les clichés ont la vie dure. L'informaticien est souvent perçu comme un homme, geek de surcroît. Le scientifique comme un savant dans sa blouse blanche. À cela s'ajoutent les stéréotypes de genres qui détournent les filles de métiers prétendument réservés aux garçons. Résultat : la filière est boudée.
Pour changer les perceptions naît alors l'idée d'envoyer des scientifiques dans les classes de seconde. Pendant une heure, elles et ils vont évoquer leur métier. Raconter leur parcours. Démythifier. Permettre aux élèves de constater que ce sont des gens normaux et que les sciences numériques valent la peine que l'on s'y intéresse.
Volontariat
L'opération s'appelle Chiche ! Elle fonctionne sur le volontariat.
Celui de l'enseignant qui souhaite recevoir un ou une scientifique dans sa classe. Celui du ou de la scientifique qui accepte de venir partager son expérience.
D'emblée, l'idée séduit l'Éducation nationale. Un premier protocole est signé fin 2019. La phase expérimentale démarre en février 2020, très vite contrariée par le Covid et ses confinements à répétition. En fonction des circonstances, « des interventions ont commencé à se tenir essentiellement dans des territoires où il existe un centre Inria, explique Laurence Hermant, cheffe de projet nationale de l'opération. En complément, la Fondation Blaise Pascal et le CNRS se sont positionnés sur les territoires où nous ne disposons pas d'implantations. Ils y ont activé leur réseau pour y trouver des scientifiques du numérique intéressés et disposés à se rendre dans des classes. »
Les établissements invités à solliciter une session Chiche !
Pour organiser cette première phase, deux approches se complètent. « La première part du terrain. Depuis des années, nos centres sont très actifs en médiation scientifique. Ils disposent d'un vivier de scientifiques volontaires. Ils ont noué des liens avec des établissements et possèdent des contacts avec les enseignants. Ils capitalisent sur ce relationnel existant.
La seconde s'appuie sur le ministère de l'Éducation nationale qui mobilise les académies via les DAN (Délégués académiques au numérique). Les établissements sont ainsi invités à solliciter des sessions Chiche ! »
Un ensemble de partenaires
Le passage à l'échelle va aussi s'accompagner d'une nouvelle structuration portée par des membres fondateurs dont notamment le ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, France Universités et Inria. « Autour de ce noyau, se mobilisera un ensemble de partenaires constitué de la Fondation Blaise Pascal, la Fondation Inria, le CNRS (essentiellement l'INS2I), la Conférence des directeurs d’écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI), le CEA, l'association Femmes et sciences, la Société informatique de France (SIF), l'association Class'Code. Dans ce groupe, certains joueront essentiellement un rôle de relais pour mobiliser leur réseau.
D'autres seront plus directement impliqués dans l’accompagnement des scientifiques volontaires. Les deux fondations ont plutôt vocation à nous aider à trouver des moyens financiers. Il s'agit de couvrir les frais de déplacement, les coûts de communication et les coûts de formation des scientifiques. Nous avons notamment besoin d'un outil internet pour automatiser les mises en relation entre enseignants, enseignantes et scientifiques, etc. »
Plus de 220 interventions
Malgré la crise sanitaire, ce sont plus de 220 interventions qui ont été faites dans les classes. La phase pilote a donné aussi l'occasion d'effectuer un travail d'évaluation à base de questionnaires.
Verbatim
90% des participants répondent que c'était une expérience positive. Les lycéens nous disent que la visite a modifié leur perception des sciences du numérique. Les enseignants trouvent que cela s'insère bien dans le déroulé pédagogique de SNT. Et une bonne proportion des scientifiques sont disposés à recommencer.
Cheffe de projet nationale de l'opération
Solenne Fortun : « je tisse un lien avec les élèves »
Première du centre Inria de l'Université de Rennes à effectuer des sessions Chiche ! Solenne Fortun est aussi probablement celle qui en a réalisé le plus.
« À Bain-de-Bretagne, le lycée compte beaucoup d'élèves. On me proposait un amphithéâtre. J'ai expliqué que ce n'était pas du tout l'esprit.
J'ai préféré intervenir classe par classe. Douze en deux jours ! Un peu beaucoup ? Oui, mais j'ai une vraie appétence pour cet exercice. Plus jeune, j'animais des ateliers scientifiques dans les colonies de vacances. Et puis Chiche ! me permet aussi de parler de ce que je fais. Je gère CrowdDNA, un projet européen sur la modélisation des mouvements de foule. »
« Du coup, je pars de là. Je montre aux lycéens la vidéo d'une panique durant un concert de Travis Scott, l'année dernière. Ils connaissent. Ils ont vu les images sur Tik Tok. Je démarre sur la problématique. Je remonte ensuite vers mes recherches. Mais sans faire de maths ! »
Au passage, elle invite les élèves à... allumer leur portable.
« Ils peuvent réagir et alimenter un nuage de mots clés sur le vidéoprojecteur. C'est un brise-glace. Je crée de l'interaction. Je leur montre aussi que je leur fais confiance. À l'écran, arrivent d'autres surprises. Je puise dans mes archives. Je sors des photos de moi. Je montre aux lycéens que je ne suis pas que scientifique. J'ai une vie à côté, comme tout le monde. Je fais du sport. Je monte à cheval. Je voyage. Mon métier n'est pas toute ma vie. En présentant ce côté plus personnel, je tisse un lien avec les élèves.
Du coup, les questions fusent. La plus osée : combien tu gagnes ? Je réponds. Je donne mon salaire. Mais je précise qu'avec la même formation, on est bien mieux payé dans d'autres secteurs. Les voilà prévenus. J'ajoute que c'est bien d'avoir un métier où, tous les matins, on est content d'aller au boulot. Je leur explique aussi que je ne sais pas ce que je ferai dans 10 ans.
Puis je parle de mon expérience, de mes surprises dans le monde professionnel. Je fais passer des messages. Exemple ? L'anglais ! J'étais très mauvaise à l'école. Si on m'avait dit qu'un jour, je pourrais travailler dans cette langue, je ne l'aurais jamais cru. Et pourtant, maintenant, c'est le cas. Donc il ne faut pas se laisser arrêter par cela. Même si l'on fait des fautes, même si l'on n'a pas un accent british, on arrive à se faire comprendre. J'ai rencontré d'éminents scientifiques qui possédaient un accent à couper au couteau. Ça ne les empêche pas de faire leur métier. »
Pour déconstruire les clichés, la scientifique soigne les détails. « Je m'habille de façon féminine. Je n'arrive pas en sweat-baskets. On peut travailler dans l'informatique sans être une "geekette" et sans passer ses soirées à faire du jeu vidéo. D'ailleurs, je ne suis presque jamais devant un ordinateur en dehors des heures de travail. Quel est l'impact de ces interventions ? Énorme. Cela apporte beaucoup aux élèves. Cela leur ouvre une nouvelle fenêtre. Un professeur m'a dit : une heure de Chiche !, ça vaut dix heures d'un enseignement classique. »
Retour d'expérience sur Chiche !
Thomas Maugey : « la formation m'a vraiment changé »
Spécialiste en traitement de l'image, Thomas Maugey est aussi l'un des chercheurs référents pour les missions de médiation scientifique au centre Inria de l'Université de Rennes.
« Je me suis porté volontaire pour Chiche ! Parce que cela m'intéressait, mais aussi pour montrer l'exemple. Avec mes collègues, nous avons bénéficié d'une formation délivrée par Claude Vadel pour apprendre à parler aux lycéens. Et cette formation m'a vraiment changé ! En tant que scientifiques, nous avons des habitudes de communication liées à notre façon de travailler : les exposés, les slides, le désir d'être exhaustif, ce genre de choses. Nous pourrions avoir la tentation de les reproduire. »
Mais le formateur va déconstruire ces habitudes. Il nous propose une méthode basée sur des anecdotes : « Imaginez, vous êtes en soirée. Vous rencontrez quelqu'un qui travaille à la préparation des astronautes à l'Agence européenne de l'espace. Vous lui demandez de raconter son métier et il vous sort… un Powerpoint. Vous êtes déçu. Ce qui vous intéresse, c'est qu'il vous raconte comment cela se passe : une fois j'ai vu tel astronaute qui faisait tel truc… C'est ça qu'il faut aller raconter aux lycéens. Pendant la formation, nous nous y sommes exercés.
Du coup, nous avons déjà 80% du contenu et aucun risque d'ennuyer l'auditoire. On prépare 15 ou 20 minutes de présentation et on s'imagine que le reste viendra des questions posées par les élèves. Là, on croise très fort les doigts pour qu'il y ait des échanges. Sinon ça va être très long. C'est la plus grosse appréhension. Mais si les anecdotes sont bonnes, elles parlent. Elles amènent des questions. Le professeur de maths m'avait dit que les élèves m'interrogeraient sur mon parcours mais, finalement, ils se sont beaucoup plus intéressés à mes histoires de recherche. »
Loïc Hélouët : « il n'y aucun risque à s'engager dans la filière »
Loïc Hélouët s'est rendu dans des lycées à Lorient et Landerneau.
« Ma motivation principale ? Parler de mon métier » résume ce spécialiste des systèmes distribués. « Dans le passé, j'avais déjà été contacté par un établissement. Finalement, cela ne s'était pas fait. Pas assez d'élèves intéressés. Cela m'avait un peu vexé. D'autant plus que j'avais préparé mon intervention. Du coup, l'opération Chiche ! m'offrait une nouvelle occasion de présenter un métier que je croyais méconnu.
Cela dit, j'avais tort… J'ai été très surpris de la connaissance que les lycéens en avaient. Ils étaient bien informés. J'ai été agréablement surpris par la maturité des élèves devant moi. Certains exprimaient-ils l'envie de devenir chercheur ? Pas beaucoup. Pour une raison qui donne tout son sens à Chiche ! : les élèves pensent que c'est trop dur. Que ce métier est inaccessible. Un parcours type à Bac +8, ça fait peur. Sans parler ensuite du concours. Taux de sélectivité : un sur trente. Là aussi, ça fait peur. Un élève m'a dit : c'est impossible ! Que répondre ? Que certes, l'objectif est difficile à atteindre. Mais le numérique recrute beaucoup. Alors même s'ils ne parviennent pas à faire une carrière académique, ils auront quand même des métiers passionnants. Et ce ne seront ni des plans B, ni des voies de garage. Donc aucun risque à s'engager dans la filière. Confession au passage : moi, je me suis laissé porter par ma passion. Je n'ai rien calculé. Si je m'étais posé trop de questions, je n'aurais rien fait. »
Au chapitre des stéréotypes de genre, Loïc Hélouët livre une autre confidence : « dans mon domaine, sur les dix scientifiques que j'admire le plus, plus de la moitié sont des femmes. Nous avons des chercheuses vraiment très fortes. Durant une pause déjeuner, une lycéenne s'approche pour un dialogue en aparté. Devant la classe, elle n'aurait pas osé le dire, mais le métier l'intéressait. C'est parfois dans ces discussions en point-à-point que l'information passe le mieux. En tout cas, les élèves en retirent quelque chose. Dans l'établissement de Lorient, les lycéens ont placé la session Chiche ! parmi les activités les plus intéressantes de l'année. »