« Que l’on fasse un mouvement, que l’on regarde quelqu’un d’autre le faire ou qu’on imagine simplement le faire, ce sont, en partie, les mêmes réseaux de neurones qui s’activent : ceux du cortex moteur primaire » , explique Laurent Bougrain, responsable de l’équipe Neurosys, commune à Inria et au Loria.
L’activité des neurones, ainsi que leurs localisations, sont bien connues : les neurones de l’hémisphère gauche du cerveau contrôlent le côté droit du corps, ceux de l’hémisphère droit contrôlent le côté gauche ; d’autre part, en partant du centre du crâne pour aller vers les côtés, le cortex moteur abrite les neurones qui contrôlent les pieds, les jambes, le corps, le bras, le visage… La plupart des interfaces cerveau-ordinateur (BCI pour Brain Computer Interface ) actuelles s’appuient sur ces connaissances et détectent les modulations dans l’activité des neurones du cortex moteur primaire grâce à un électroencéphalogramme (EEG).
« En étudiant l’activité cérébrale, nous sommes aujourd’hui capables de savoir si une personne ouvre ou ferme la main par exemple , souligne le chercheur. Or, collecter des données sur l’activité du cerveau, y appliquer des prétraitements et en extraire les informations qui nous intéressent permet ensuite d’associer un état cérébral à une action de l’ordinateur ou d’un objet guidé par l’ordinateur » , détaille le chercheur.
La difficulté ? Il faut que la personne qui imagine le mouvement soit parfaitement concentrée pour obtenir une modulation la plus claire possible de l’activité du cortex moteur associé. En effet, imaginer précisément les perceptions habituellement ressenties durant un mouvement réel n’est pas une tâche facile. Autrement dit, ce n'est pas parce qu’un patient a l'impression d’imaginer correctement une tâche que les bons réseaux de neurones s’activent. Il peut par exemple visualiser le mouvement et donc solliciter les aires visuelles du cerveau au lieu du cortex moteur.
Plus concentré sous hypnose ?
L’hypnose ne pourrait-elle pas être une solution à ce problème ? « Notre hypothèse était que, sous hypnose, la personne peut être plus concentrée sur ce qu’elle ressent au niveau de la main et du bras et donc générer un signal EEG plus fort et donc plus facile à interpréter » , explique Sébastien Rimbert, doctorant dans l’équipe Neurosys.
Cette hypothèse reposait notamment sur le témoignage de personnels hospitaliers qui témoignent que, sous hypnose, les patients victimes d’un AVC ont plus de facilité à imaginer les mouvements demandés. Les chercheurs et chercheuses ont donc cherché à vérifier ce ressenti et à mesurer scientifiquement l’effet de l’hypnose sur la modulation de l’activité cérébrale. Sébastien Rimbert a consacré une partie de sa thèse à tester cette hypothèse.
Une spécialiste de l’hypnose ericksonienne (qui se base sur des suggestions faites au sujet pour favoriser la relaxation et la concentration) a pratiqué une session d’hypnose individuelle sur 23 personnes qui ont, dans la foulée, essayé d’imaginer fermer leur main droite sans réellement exécuter le mouvement. L’expérience a été reproduite une deuxième fois, sans la session d’hypnose préalable. Dans chaque cas, un EEG enregistrait les modulations de l’activité des neurones moteurs liés à la main droite.
« Résultat : il y a des différences mais elles montrent que la modulation est en fait moindre sous hypnose , révèle Sébastien Rimbert. L’état de conscience un peu modifié ne permet peut-être pas d’être assez volontaire, ou conscient justement, pour générer un signal assez fort. »
Activer les bons neurones
Les scientifiques poursuivent leurs recherches, notamment avec le nouveau projet ANR baptisé Grasp-it . Ce dernier vise à utiliser l’EEG pour voir si justement l’imagination motrice utilisée en complément d’autres thérapies dans les centres de rééducation permet bien de solliciter le cortex moteur. Ils comptent également étudier la notion de feedback pour réactiver la boucle sensorimotrice. « Si une personne imagine correctement qu’elle ferme la main, l’écran de l’ordinateur va lui montrer une main qui écrase une bouteille d’eau, ce qui fournira un feedback visuel. En plus, elle aura dans la main une bouteille d’eau qui, grâce à un système de vide d’air, s’écrasera lorsqu’elle imaginera le mouvement, ajoutant ainsi un feedback sensoriel à l’imagination du mouvement » , décrit Laurent Bougrain. Avec comme objectif toujours l’amélioration de la rééducation mais également des performances des interfaces cerveau-ordinateur.