Du projet e-TAC à la startup Co-Idea
Faciliter le développement de nouvelles formes de pédagogie active, en France et au niveau international, en rendant les élèves acteurs de leur apprentissage. C'est l'objectif de Co-Idea, l'une des startups numériques deeptech actuellement soutenues par Inria Startup Studio. Le projet est coporté par deux entrepreneurs chercheurs : Philippe Giraudeau, spécialiste de la réalité augmentée spatiale, issu de l'équipe-projet Potioc du centre Inria de l'université de Bordeaux, et Alexis Olry de Rancourt, spécialiste en interaction humain-machine, notamment pour le laboratoire Perseus (psychologie ergonomique et sociale pour l'expérience utilisateurs) de l'Université de Lorraine.
Tous deux participent depuis cinq ans au projet de recherche e-TAC, piloté par l'Université de Lorraine dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir. Mené en partenariat avec Inria, ce projet vise à « promouvoir l’apprentissage collaboratif grâce aux interfaces tangibles et augmentées ». Sa spécificité consiste à coupler les atouts de la réalité augmentée et ceux des interfaces tangibles (objets physiques tels les stylos ou le papier) susceptibles d'être utilisées pour interagir avec des données numériques.
Vidéoprojecteur et caméra
« La technologie à la base de notre projet de startup, issue d'e-TAC, repose sur un vidéoprojecteur et une caméra, installée juste au-dessus, détaille Philippe Giraudeau. En salle de classe, le vidéoprojecteur va projeter un environnement numérique sur une table ou un support (par exemple une carte papier, dotée d'un QR Code). Puis les caméras récupèrent les informations sur ce qu'il se passe sur la table, de sorte à rendre la projection interactive. »
On parle de réalité augmentée spatiale : le dispositif (ici le vidéoprojecteur) augmente l'espace situé autour de plusieurs apprenants en y projetant des contenus numériques. L'avantage ? « Il n'y a pas besoin d'utiliser un ordinateur, sous la forme que l'on connaît (avec un clavier, un écran et une souris), ce qui signifie souvent que deux personnes du groupe manipulent le clavier et la souris pendant que les autres regardent et ne font presque rien, précise le chercheur. Nous amenons le numérique directement dans l'espace des utilisateurs – sur une table ou du papier – pour qu'ils travaillent en groupe. Il est en effet établi que ce type de coopération aide les élèves à mieux retenir les informations et à développer des compétences dans leur façon d'interagir. »
Réalité augmentée en salle de classe
Le système de Co-Idea est moins cher et encombrant qu'une table tactile. Il se veut surtout discret pour les élèves et les enseignants, qui n'ont besoin d'aucune compétence informatique spécifique pour l'intégrer à leur pratique professionnelle. « Nous avons par ailleurs travaillé pour qu'il n'y ait pas qu'un effet "Waouh" – ce fameux effet de surprise qui se produit lorsque l'on découvre une technologie », précise Alexis Olry de Rancourt, qui s'intéresse surtout aux aspects ayant trait à l'ergonomie du dispositif et à sa pertinence dans un contexte pédagogique. « On ne fait pas de la technologie pour la technologie. Ce n'est pas non plus un jeu ou une innovation qui peut être détournée pour surfer sur Internet, par exemple. »
La précision n'est pas anodine dans le contexte actuel, où le secteur éducatif hexagonal ne semble pas encore avoir connu sa « révolution numérique », comme le précisent André Tricot, professeur en psychologie et grand spécialiste de l'ingénierie pédagogique, et Jean-François Chesné, coordinateur exécutif du Cnesco (Centre national d'étude des systèmes scolaires), dans un rapport de synthèse publié fin 2020. Pour les auteurs, la fourniture de tablettes, ordinateurs portables et tableaux numériques interactifs (TNI) n'est pas de nature à produire « une nouvelle façon d'enseigner et d'apprendre », même si elle génère parfois de modestes « effets positifs ».
Un test auprès d’élèves de primaire et de collège
Douze dispositifs de RAS (Réalité augmentée spatiale), appelés CARDS, ont été déployés dans les salles de classe de deux collèges, à Metz et Saint-Avold, en Moselle, afin de pouvoir être mis à la disposition de groupes de cinq/six élèves de primaire ou de collège : une cinquantaine d'enseignants et plus d'un millier d'élèves, entre le CM1 et la quatrième, ont ainsi participé à la conception du cahier des charges et testé en avant-première la solution sur une période de quatre ans.
« Nous avons filmé et analysé des centaines d'heures de vidéos d'élèves qui travaillaient avec ou sans le dispositif, explique Alexis Olry de Rancourt. Le but était de noter les comportements qui se produisaient lors des activités et de préciser s'ils étaient positifs ou négatifs vis-à-vis des apprentissages en cours et du groupe d'apprenants – par exemple cela crée-t-il des conflits ou bien de l'entraide ? ». Des entretiens réguliers avec les enseignants ont aussi aidé la startup en herbe à comprendre comment ils travaillaient et dans quels contextes pédagogiques cette innovation pourrait être un atout à l'avenir.
Les retours quantitatifs et qualitatifs ont déjà permis d'améliorer cette solution de travail de groupe, notamment pour les enseignants appelés à l’accompagner. Pour faciliter la gestion de classe, Co-Idea a développé un boîtier (CalMe) de support à l’autonomie et la responsabilisation des apprenants. Le principe ? « Ils doivent se poser collectivement la question avant d'appuyer sur le bouton permettant d'appeler l'enseignant, de voter ou de sauvegarder des données », indique Alexis Olry de Rancourt.
Nous voulons casser la relation pyramidale entre enseignants et élèves pour qu'ils puissent apprendre au maximum au sein du groupe social, comme le font tous les êtres humains.
Une commercialisation en 2023
La société Co-Idea sera officiellement lancée en septembre 2022, à l'issue de l'accompagnement et des formations proposés par Inria Startup Studio. Après une phase de recrutement (principalement de commerciaux, ingénieurs et techniciens), elle commercialisera ses premiers dispositifs et services (formation, conception d'un logiciel personnalisé…) au premier semestre 2023, en ciblant les écoles, collèges, lycées, universités, mais aussi les instituts de formation. À noter, le 15 juin, les fondateurs de Co-Idea présenteront en exclusivité leurs premiers outils lors du salon VivaTech à Paris (sur le stand d'Inria Startup Studio).
En savoir plus
- #Podcast : À quoi sert la recherche… en éducation numérique ?, Inria, 24/8/2021.
- Comment le secteur de l’éducation se réinvente grâce au digital, Le Siècle digital, 4/4/2022.
- Edtech : l'année 2020 a tout changé pour les start-up de l'éducation, Les Échos entrepreneurs, 6/4/2021.
- Inria publie un livre blanc sur l'éducation et le numérique, Inria, 10/12/2020.