CREATE, qu’est-ce que c’est ?
CREATE (The Center for research and education on aging and technology enhancement) est un centre de recherche pluridisciplinaire regroupant les meilleurs scientifiques du domaine des "facteurs humains, du vieillissement et des technologies". Les études menées au sein de ce réseau sont centrées sur les questions relatives aux personnes âgées et à leurs interactions avec les technologies numériques. Le succès de cette approche pluridisciplinaire s’illustre par des contributions à fort impact scientifique et sociétal, et en particulier, sur les thématiques liées à la santé des personnes âgées.
Avec un vieillissement de plus en plus croissant de la population, ce sujet de recherche a pris beaucoup d'ampleur au fil des dernières décennies. À titre indicatif, en 1960, 5 % de la population mondiale avaient plus de 65 ans, contre presque 9,3 % en 2020 et des modèles prévisionnels indiquent même 16 % en 2050 (sources : UN world population prospect). En France, par exemple, 20,7 % de population a plus de 65 ans en 2021 (sources : Insee).
La technologie devient omniprésente dans la vie quotidienne : travail, apprentissage, santé, transports, loisirs… et le nombre de personnes âgées parfois contraintes à les utiliser augmente drastiquement. Le challenge de ces thématiques de recherche est d’autant plus important que chaque personne vieillie de manière différente, c’est ce que l’on appelle la variabilité interindividuelle du vieillissement. Ce dernier est un processus multidimensionnel impliquant des changements physiques, psychologiques, sociaux, environnementaux et souvent économiques. Le défi est alors de concevoir des technologies pour la vie quotidienne des personnes âgées, qui s’adaptent à la variabilité de leurs besoins, afin d'être efficaces et acceptées par les utilisateurs.
Ainsi, CREATE s’efforce de comprendre comment les caractéristiques de la personne et de son environnement influencent les interactions avec la technologie. CREATE élabore également des principes et des méthodes pour faciliter la conception, la mise en œuvre (déploiement et accompagnement) et l'évaluation des technologies émergentes (ergonomie, expérience utilisateur et efficacité du service délivré).
Comment fonctionne le modèle CREATE de conception des technologies pour les personnes âgées ?
Une des contributions majeure de CREATE est le modèle systémique de conception des technologies. Le modèle préconise l’application des techniques de conception participative dans lesquelles toutes les parties prenantes doivent contribuer de manière égalitaire (experts cliniciens, éducateurs, familles, personnes âgées ciblées, concepteurs-designers et développeurs).
De manière originale et complète, CREATE défend une approche éco-systémique (typique des approches dites « facteurs humains ») en mettant en avant l’importance d’intégrer dans la conception l’influence de l’environnement culturel, social et physique, incluant notamment de manière proximale l’entourage humain ou le type d’habitat, et de manière distale ou latente les organisations et les politiques publiques de santé et du traitement de la vieillesse. A un niveau plus individuel, une conception réussie d’une technologie dépend de l’adéquation entre :
- les capacités de l’utilisateur, notamment cognitives et physiques, influencées par de nombreux facteurs, incluant son âge, son statut fonctionnel ou encore sa santé ;
- les demandes de la tâche, en termes cognitifs et physiques, influencées elles-aussi par des facteurs internes telles que la complexité et la familiarité de la tâche, ou le contexte où elle se réalise ;
- les demandes d’interaction du système en termes de ressources cognitives et physiques, dépendant notamment de l’interface matérielle et logicielle du système.
Selon ce modèle, plus la conception est centrée sur l'utilisateur, plus les propriétés ergonomiques seront élevées et plus l’expérience utilisateur de la technologie sera positive, et son adoption facilitée (exemple de l'étude PRISM1 et de la solution DomAssist2). La force de ce modèle est son application à des domaines multiples d’activités et de participation sociale tels que la santé, les transports, les loisirs, etc.
1 Czaja, S., Moxley, J., & Rogers, W. A. (2021). Social Support, Isolation, Loneliness, and Health Among Older Adults in the PRISM Randomized Controlled Trial. Frontiers in Psychology, 4307.
2 Consel, C., Dupuy, L., & Sauzéon, H. (2017, July). HomeAssist: An assisted living platform for aging in place based on an interdisciplinary approach. In International conference on applied human factors and ergonomics (pp. 129-140). Springer, Cham.
Quels sont les domaines d’application de ce modèle ?
Il est facile de prédire l'avenir, mais il est difficile de faire une prédiction correcte. A l’aide de l’heuristique d'identification des invariants, des tendances peuvent être identifiées en matière de technologies numériques, de caractéristiques de la population âgée, et d'environnements. Les preuves d'une accélération de la diffusion des technologies sont là mais des facteurs pourront affecter cette tendance, comme le réchauffement climatique, et en particulier, en regard des tendances de sobriété de consommation d'énergie.
Comme les gens évoluent lentement, des retards d'adoption des technologies par les populations plus âgées sont à attendre. Par exemple, la tendance à la miniaturisation des produits est problématique pour les utilisateurs adultes âgés, tout comme l'IoT (Internet des objets), qui offre à la fois des opportunités mais surtout des défis pour soutenir les adultes vieillissants. Un problème important à résoudre dans les prochaines années est celui de la protection de la vie privée et de la sécurité.
Aussi, des tendances environnementales et culturelles positives sont observées en matière d’aménagement des logements, et de politiques de santé (structures sanitaires et médico-sociales soutenant les personnes âgées) pour mieux couvrir la diversité des populations âgées. Une bonne conception centrée utilisateur est la clé pour s’inscrire et orienter ces nouvelles tendances pour mieux inclure les personnes âgées dans nos sociétés
Comment les chercheurs français s’inspirent de ce modèle ?
Partant du modèle CREATE, des projets voient le jour un peu partout en France. Retour sur quatre projets dans lesquels sont impliqués des chercheurs français, présentés lors du workshop CREATE :
Entraînement cognitif personnalisé à la variabilité inter-individuelle des personnes âgées
L'efficacité des programmes d'entraînement cognitif est aujourd'hui largement débattue. L'un des problèmes majeurs est l'absence de prise en compte des différences interindividuelles. Dans ce projet, les chercheurs proposent d'étudier ce problème en évaluant l'impact d'un algorithme permettant d'adapter la difficulté d'un programme d'entraînement attentionnel. ZPDES (Zone de développent proximal et estimation du succès) est un algorithme inspiré des sciences cognitives et des théories psycho-éducatives qui estime la progression de l'apprentissage du participant afin de proposer des activités situées dans la ZPD (zone de développement proximal). La ZPD correspond à l'éventail des capacités émergentes d’un individu pour réussir une activité donnée. L'hypothèse de travail des scientifiques est que l'utilisation de ce type de personnalisation conduira à une meilleure adhésion au programme, à une plus grande motivation à s'investir dans la formation, ainsi qu'à de meilleurs bénéfices de l’entraînement. Afin de valider cette idée, les chercheurs proposent un essai contrôlé randomisé en double aveugle où les participants sont répartis en 3 groupes : une condition de contrôle (sans entraînement), une condition de contrôle actif pratiquant pendant 10 heures une tâche de poursuite d’objets dont la difficulté est gérée par un algorithme d'escalier (séquence prédéfinie) et une condition expérimentale pratiquant le même entraînement mais dont la difficulté est organisée par ZPDES. Des mesures pré- et post-intervention permettront d’évaluer la valeur ajoutée de ZPDES sur les tâches entrainées et les effets de transfert à d’autres tâches mobilisant l’attention.
Personnes impliquées : M. Adolphe, M. Sawayama, B. Clément, A. Joessel, A. Nguyen, C. Shawn Green, D. Bavelier, PY. Oudeyer, H. Sauzéon (Equipe Flowers – Centre Inria Bordeaux – Sud-Ouest, université de Bordeaux et Université de Genève)
BIRDS (BioImmersive Risk Detection System)
L'espérance de vie augmente en permanence. En conséquence, la pyramide des âges de la population subit une transformation majeure, qui s'intensifiera jusqu'en 2035. Selon les projections de de l'Insee, entre 2007 et 2060, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus devrait augmenter de 80 % ; en France, elles représenteront alors près d'un tiers de la population (contre 21,5 % en 2007). De même, au Canada, d'ici 2050, on prévoit qu'environ 25 % des canadiens auront 65 ans et plus et que près de 10 % feront partie des « plus vieux » (80 ans et plus). Ainsi, vieillir de la meilleure façon possible en terme de santé est devenu un enjeu majeur avec le maintien des personnes âgées à leur domicile le plus longtemps possible. L'objectif du projet BIRDS consiste à développer des outils basés sur l'IA (intelligence artificielle) et l'IoT (interne des objets) pour étudier et prévenir les situations à risque dans un environnement écologique à domicile. Le premier système hors ligne de détection des risques à partir de la taxonomie conçue par des gérontologues et des psychologues a été développé avec une précision de 83 % de détection des risques sémantiques.
Personnes impliquées : J. Benois-Pineau, H. Amieva, L. Middleton (BPH - Inserm/université de Bordeaux, Labri - CNRS/université de Bordeaux, Université de Waterloo, Inflexsys)
Des nouvelles technologies pour améliorer la mobilité pédestre des seniors
Les études menées dans ce projet concernent la conception et l'évaluation de nouvelles technologies pour améliorer la sécurité et la mobilité des piétons âgés. La raison de développer de telles technologies est tout d'abord liée à la surreprésentation des piétons âgés dans les statistiques d'accidents. Un autre problème est que les piétons âgés ont des difficultés à trouver leur chemin dans des environnements inconnus. Afin d'améliorer la sécurité et la mobilité des piétons âgés, les scientifiques ont imaginé, développé et testé plusieurs dispositifs technologiques pour les aider à surmonter leurs difficultés, que ce soit dans la tâche de traversée de la rue ou dans la tâche de navigation pédestre. Le premier exemple est un bracelet vibrotactile conçu pour aider les piétons à prendre des décisions plus sûres pour traverser la rue, en les empêchant de traverser dans des situations dangereuses. Un autre exemple est celui des dispositifs qui guident les piétons pour qu'ils trouvent leur chemin dans des environnements urbains inconnus grâce à des retours visuels, auditifs et vibrotactiles (par exemple, les lunettes de réalité augmentée, les casques à conduction osseuse et les smartwatches, comparés aux cartes papier). Certains de ces dispositifs ont très bien fonctionné, d'autres beaucoup moins ... mais ces limites, dans leur fonctionnement et leur efficacité, ont permis d'apprendre beaucoup dans la conception de nouvelles aides technologiques pour les piétons âgés.
Personne impliquée : A. Dommes (Université Gustave Eiffel, LaPEA)
Présentation du laboratoire CoBTeK
CoBTeK-Lab (Cognition Behavior Technology) a pour objectif de développer des recherches sur l’utilisation des TIC (technologies de l’information et de la communication) pour la prévention, le diagnostic et le traitement des pathologies neuro-psychiatriques et neuro-développementales. Les nouvelles TIC, dont les capteurs audio et vidéo, jeux de vidéos, réalité virtuelle, sont en partie utilisées en tant qu’instruments d'évaluation ainsi qu’en instruments de vérification et de suivi des plans de traitement. Ainsi, les TIC ont un rôle majeur dans la prévention de la dépendance et l'adaptation des environnements urbains aux besoins des personnes âgées et à la préservation de leur autonomie. La mise en œuvre d'une interrelation entre les technologies de l'information et de la communication a nécessité l'établissement d'un partenariat fort entre la recherche clinique et la recherche fondamentale. Comme la recherche initiale, dont l'objectif est d'amener "la recherche fondamentale au chevet du patient", l'objectif du CoBTeK est ainsi de guider cette recherche fondamentale comme un "algorithme" sur les lieux de vie des personnes âgées.
Personne impliquée : A. König (Equipe Stars – Centre Inria Sophia Antipolis, CoBTeK, Université Côte d'Azur).
Pour aller plus loin
L'objectif principal du workshop CREATE est de promouvoir internationalement les approches pluridisciplinaires de la conception des technologies pour les personnes âgées. Plus précisément, le but est d'organiser un réseau multi-domaines afin de décloisonner les recherches et de créer une synergie entre les approches technologiques, de santé et en sciences humaines et sociales. En effet, les participants sont nommément invités à y participer et l'idée est d'avoir des chercheurs de thématiques différentes mais aussi des représentants institutionnels/industriels en lien avec le vieillissement afin de respecter les contraintes culturelles/politiques nationales en matière du vieillissement et repérer des opportunités de création de valeurs pour les industriels.
Ce workshop était animé par :
- Sara Czaja, directrice de CREATE, professeure de gérontologie (Weill Cornell Medical College, New-York)
- Wendy Rogers, professeure de psychologie et de science appliquée à la santé (Université d’Illinois, Urbana-Champaign)
- Walter Boot, professeur de psychologie cognitive (Université de Floride, Miami)
- Neil Charness, professeur en facteurs humains et ergonomie (Université de Floride, Miami)