Le HPC, au cœur de nombreux enjeux sociétaux
Anticiper les effets du réchauffement climatique sur notre planète, plonger au cœur de la matière pour créer de nouvelles molécules et des traitements innovants, optimiser la forme d’une pale d’éolienne afin d’en tirer le meilleur rendement, concevoir les matériaux du futur, plus légers, résistants et durables : derrière ces sujets majeurs pour notre avenir, se cache le calcul haute performance (HPC), renforcé par les techniques d’intelligence artificielle (IA) et de l’analyse de données.
Cette technologie est au cœur d’un projet européen H2020 d’envergure, intitulé Textarossa (Towards EXtreme scale Technologies and Accelerators for euROhpc hw/Sw Supercomputing Applications for exascale). Lancé le 1er avril 2022, il associe 11 partenaires (voir encadré), dont Inria. Doté d’un budget de 6 millions d’euros sur 36 mois, il est piloté par l’Agence nationale italienne pour les nouvelles technologies, l'énergie et le développement durable (ENEA).
La révolution des supercalculateurs
Concernant Inria, c’est Bérenger Bramas, jeune chercheur en informatique, qui contribue à ce projet européen. Il travaille au sein de l’équipe-projet Camus, située à Strasbourg et rattachée au centre Inria Nancy - Grand Est et au laboratoire ICube. Cette équipe est spécialisée dans les techniques de parallélisation et d’optimisation de processeurs dites "multicoeurs" et elle développe des méthodes concourant à leur utilisation efficace en HPC.
Bérenger Bramas éclaire pour nous les enjeux cruciaux du projet Textarossa : « La décennie 2020 devrait voir la naissance de supercalculateurs exaflopiques européens (ou "‘exascale computing’" en anglais), capables de réaliser 1018 opérations par seconde, soit un milliard de milliards de calculs en une seconde. Cette puissance computationnelle est phénoménale : un seul supercalculateur de ce type est en effet aussi performant que les 100 superordinateurs les plus puissants actuellement utilisés en Europe ! Les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Union européenne ont déjà engagé d’ambitieux projets en exascale. Textarossa vise à préparer cette révolution numérique en évaluant le potentiel de nouvelles solutions techniques déployables, à terme, dans de telles machines. »
Le défi de la sobriété énergétique
Les défis scientifiques posés par la mise au point et l’exploitation de ces mastodontes numériques sont nombreux. Au premier plan, leur sobriété énergétique : pour offrir aux scientifiques sa puissance de calcul hors norme, un supercalculateur engloutit tout de même plusieurs millions d’euros d’électricité par an ! Son fonctionnement produit en outre une intense chaleur, que des systèmes de refroidissement performants doivent être capables de dissiper…
Construire et faire fonctionner un calculateur exascale demande donc d’innover tous azimuts. Le consortium Textarossa (dont le nom évoque la rapidité, en référence à une fameuse automobile de sport italienne) se donne plusieurs objectifs : mettre au point de nouveaux matériels informatiques ultra-rapides, concevoir des équipements de refroidissement innovants, et développer des algorithmes et logiciels de nouvelle génération. Les applications visées par le projet ne se restreignent pas aux champs traditionnels du HPC, telle la simulation numérique, mais concernent également ses domaines émergents, comme l'intelligence artificielle haute performance (HPC-AI), ou l'analyse de données haute performance (HPDA).
Une contribution déterminante d’Inria
Verbatim
Le projet Textarossa vise à obtenir de hautes performances et une grande efficience énergétique sur les systèmes de calcul "exascales"’, en augmentant l'efficacité de calcul à la fois dans les matériels et dans les logiciels HPC. Inria participe au processus de coconception de ces nouvelles architectures de calcul, en apportant une expertise à plusieurs niveaux de prototypage, en particulier sur les FPGA.
Les équipes de l’institut ont déjà entamé le déploiement de ce dispositif vers deux applications HPC (Chameleon et Scalfmm), en exploitant des outils innovants au potentiel de parallélisation élevé. Un nouvel ordonnanceur optimisant la gestion des charges de travail pour les nœuds de calcul mixtes (CPU+GPU ou CPU+FPGA) a été mis au point. De plus, des outils évaluant la consommation d'énergie de ces systèmes ont été développés. La contribution d’Inria au projet s’avère donc déjà des plus tangibles !
Pilote du consortium Textarossa
Vers une amélioration des performances numériques et énergétiques
Pour sa part, Inria est plus particulièrement mobilisé sur la partie logicielle du projet. L’institut s’attache notamment à développer un nouveau nœud de calcul pour le HPC, puis à en valider les performances numériques et énergétiques. « Un supercalculateur décompose les tâches à effectuer en millions de sous-tâches, chacune d'elles étant ensuite réalisée, simultanément avec l’ensemble des autres, par un unique processeur, explique Bérenger Bramas. Les machines en utilisent actuellement deux types : les CPU (les processeurs d’unité centrale, comme on en trouve dans nos ordinateurs) et les GPU (les processeurs de cartes graphiques, très prisés par l’industrie du jeu vidéo). Nous allons nous intéresser au potentiel de nouveaux éléments, les FPGA, des cartes programmables à la demande, particulièrement bien adaptées aux algorithmes du HPC. »
Comment ordonnancer les tâches accomplies par les CPU, GPU et FPGA au sein du supercalculateur ? Comment tirer le meilleur parti de leur puissance individuelle ? Quelles performances attendre des FPGA et comment les améliorer ? Sur quels critères analyser les gains obtenus en termes d’efficacité numérique et énergétique ? Les travaux d’Inria et de ses partenaires devraient apporter des réponses tangibles, attendues par toute la communauté européenne du HPC.
Un management de projet innovant
Bérenger Bramas va travailler en étroite collaboration avec ses collègues du centre Inria de l'université de Bordeaux (Olivier Beaumont, Lionel Eyraud-Dubois, Brice Goglin, Abdou Guermouche, Raymond Namyst et Samuel Thibault) sur la question centrale de l’ordonnancement, avec un objectif : démontrer les performances des FPGA. Ils se pencheront aussi sur des aspects algorithmiques du HPC, pour lesquels sont attendus des résultats pouvant intéresser numériciens et informaticiens, en particulier en algèbre linéaire – une branche des mathématiques utile au calcul HPC – et sur la méthode FMM (une méthode numérique très prisée par les ingénieurs, car elle leur permet de réduire les temps de simulation, par exemple pour le calcul du bruit des transports aériens ou terrestres).
« Textarossa nous donne l’opportunité d’expérimenter et de tester le potentiel de nouvelles approches du HPC, souligne Bérenger Bramas. Sans cette étape, aucune innovation ne serait déployée avec confiance sur les futures machines exascales. » Innovant, le projet l’est également dans sa conduite. Les partenaires travaillent en effet dans un esprit de "codesign", dans lequel chacun apporte des compétences ou des idées, tout en adaptant ses propres développements aux résultats démontrés par d’autres. C’est en distribuant les tâches et en orchestrant efficacement leur exécution que les supercalculateurs obtiennent une force computationnelle hors du commun. Les membres du consortium Textarossa le savent parfaitement… et ils comptent bien appliquer ce principe et atteindre la même efficacité, en s’appuyant sur un management de projet agile !
11 partenaires et 5 pays représentés dans Textarossa
- Agenzia nazionale per le nuove tecnologie
- Energia e lo sviluppo economico sostenibile (Italie)
- Fraunhofer-Gesellschaft (Allemagne)
- Inria (France)
- Atos (France)
- E4 Computer Engineering (Italie)
- Centro Nacional de Supercomputación (Espagne)
- Poznan Supercomputing and Networking Center (Pologne)
- Istituto Nazionale di Fisica Nucleare (Italie)
- Istituto di Scienza e Tecnologie dell'Informazione (Italie)
- IN-QUATTRO (Italie).
En savoir plus
- Calcul haute performance : Inria impliqué dans huit projets européens, Inria, 26/5/2021.
- Optimiser le calcul haute performance, un défi scientifique et écologique, Inria, 14/1/2021.
- À quoi servent les ordinateurs les plus puissants au monde ? Un exemple en cardiologie, The Conversation, 28/12/2022.
- Supercalculateurs : les enjeux d’une course planétaire, CNRS Le Journal, 9/9/2019.