Marie Muller, documentaliste pour Réseau Canopé : le réseau de création et d’accompagnement pédagogiques
« Tout a commencé lors d’un "BigDatathon". Le concept : 12 heures pour inventer une application pédagogique et innovante mêlant big data et sciences participatives. Canopé en tant que coorganisateur y a présenté une équipe dont je faisais partie. Nous avons eu l’idée d’un dispositif qui permettrait aux élèves de mesurer le bruit dans leur établissement et de comparer le niveau d’intensité sonore réel avec leur ressenti subjectif. Nous voulions que cette application devienne aussi un véritable outil pédagogique qui permette une exploitation des données en classe. Sélectionnés parmi les 6 projets sur 72, nous avons alors été invités à une deuxième étape avec pour objectif de faire mûrir le projet, réfléchir aux aspects financiers, marketing… À l’issue de ce parcours, la question de l’utilisation de cette application s’est posée. Quelle pourrait être son utilité ? C’est alors que nous nous sommes rapprochés d’Ambiciti, une start-up issue d’Inria qui développe également une application mobile de mesure du bruit. »
Sandrine Chudet, cheffe de projet transmédia pour Réseau Canopé
« Avec Ambiciti et Inria, nous avons commencé à travailler sur un prototype d’application qui sera expérimenté à l’occasion de la Semaine du Son dans deux établissements (voir encadré). Cette expérimentation permettra de voir comment poursuivre le projet notamment en améliorant l’interface. Nous envisageons également de travailler sur l’accompagnement pédagogique, en élaborant des scénarios que les enseignants pourraient s’approprier. À terme, l’ouverture d’une plate-forme de datavisualisation est en projet. Notre objectif est de sensibiliser les élèves à l’impact des nuisances sonores en milieu scolaire et de fournir aux établissements un service pédagogique de santé publique. L’idée serait donc d’agréger des données en continu sur tout l’établissement afin que ce dernier l’utilise comme un outil pour dialoguer avec les collectivités, les décideurs ; et éventuellement que soient mises en place des mesures de remédiation. »
Pierre Béal, fondateur de la société Ambiciti
« Ambiciti a pour ambition de fournir une plate-forme de données environnementales à l’échelle mondiale. Nous avons une application mobile qui permet, entre autres, de suivre sa propre exposition à la pollution sonore. Les données recueillies sont agrégées sur une plate-forme avec des algorithmes d’enrichissement de données. Nous nous sommes aussi donné pour mission de sensibiliser la population aux pollutions auxquelles elle est exposée, et notamment les nuisances sonores. Ce sont des problématiques qui sont très peu prises en compte. Pourtant ce sont de vrais facteurs de stress qui ont un impact sur la santé.
Lorsque que Réseau Canopé nous a sollicités pour Tohu-Bahut, cela a fait sens pour nous. D’autant plus que nous n’avions jamais eu l’occasion de travailler sur un projet en milieu scolaire. »
Bruno Lefèvre, postdoctorant au sein de l’équipe Mimove au centre Inria de Paris
« Chez Inria, je travaille sur un programme de recherche sur la production et le partage de données par les smartphones. C’est notamment dans ce cadre qu’est née Ambiciti dont je cherche à mieux comprendre les usages. Mon travail consiste à caractériser ses utilisateurs et utilisatrices et à comprendre comment le crowd-sourcing peut accompagner des projets de ville, institutionnels ou pédagogiques. J’ai accompagné Réseau Canopé pour resituer et redéfinir l’usage de l’application et l’adapter au milieu scolaire (voir ci-dessous). Nos expériences avec Ambiciti ont également permis de lever des obstacles techniques et pratiques dès la conception de Tohu-Bahut.
Il y a deux axes de recherche qui nous intéressent. Le premier concerne le contexte de mesure de l’intensité sonore et de production de données. Là nous sommes dans un contexte particulier, le milieu scolaire. Et nous allons chercher à voir quelles sont les caractéristiques de ce contexte, par rapport à d’autres. Le deuxième axe d’étude concerne l’usage. Nous allons étudier comment les enseignantes et enseignants et les élèves vont prendre l’outil en main.
D’une manière générale, ce que je trouve intéressant avec Tohu-Bahut c’est que nous montrons qu’une technologie pointue peut apporter des réponses concrètes à une problématique actuelle et ressentie au cœur de la société, comme les nuisances sonores.
La première version de l’application testée cette semaine
Les élèves du collège Victor Grignard à Lyon et du Lycée pilote innovant international (LP2I), près de Poitiers, seront les tout premiers à expérimenter l’interface Tohu-Bahut . Cette dernière reprend la technologie Ambiciti, mais a été complètement réadaptée à ce nouvel usage. Les utilisateurs et utilisatrices, suivront un parcours de quatre étapes. Ils devront indiquer dans quel espace de l’établissement ils se trouvent (cour, couloir, réfectoire…). Cela déclenchera automatiquement une mesure de l’intensité sonore pendant 15 secondes. Ensuite, les élèves devront, par un système de smileys, exprimer comment ils se sentent (est-ce calme, reposant, stressant, bruyant ?). Enfin, un écran récapitulatif de toutes ces données s’affichera.
Si chaque élève fait ses propres mesures, l’application propose aussi de créer un groupe d’utilisateurs et utilisatrices. Un enseignant ou une enseignante pourra ainsi mobiliser la classe entière sur le projet. « Nous explorons et donc nous avons besoin de ces expérimentations pour savoir comment faire évoluer l’application. Le but final est de mieux répondre aux besoins des enseignantes et enseignants, des élèves, des établissements », explique Bruno Lefèvre. Une chargée d’études de Canopé se rendra sur place pour faire un rapport d’usage sur ce prototype. Par ailleurs, une petite dizaine d’établissements franciliens testeront également Tohu-Bahut, en autonomie.
* Canopé, réseau de création et d’accompagnement pédagogiques, établissement public sous tutelle du ministère de l'Éducation nationale