Des simulations numériques pour des enjeux industriels majeurs
Conjuguer les expertises des ingénieurs de TotalEnergies et des chercheurs de l’équipe Pixel, commune à Inria et au Loria, afin d’améliorer la précision de simulations numériques complexes : tel est l’objectif du contrat de collaboration signé par les deux entités le 1er octobre 2020 et conclu pour une durée de 42 mois. Le projet est porté en particulier par des travaux de thèse encadrés par Dmitry Sokolov, maître de conférences à l’université de Lorraine et responsable de l’équipe Pixel, Jeanne Pellerin, cheffe de projet R&D chez TotalEnergies et Nicolas Ray, chercheur Inria.
Jeanne Pellerin : un parcours entre recherche et industrie
Jeune ingénieure diplômée de l’ENSG, Jeanne Pellerin, est également titulaire d’une thèse de doctorat, soutenue en 2014 après trois ans de travail au sein des équipes Alice, aînée de Pixel, à Inria Nancy – Grand-Est et Ring de Géoressources. « Sous la direction conjointe de Bruno Lévy et Guillaume Caumon, je me suis intéressée aux techniques de maillage pour les modélisations en géosciences. Après deux postdoctorats, en Allemagne et en Belgique, j’ai approfondi mes connaissances sur les méthodes de génération de maillages et leurs diverses applications. » Jeanne Pellerin rejoint le groupe TotalEnergies fin 2018 et se tourne naturellement vers Pixel afin de mettre en place une collaboration autour des maillages hexaédriques. « Ma formation par la recherche, ainsi que mes connaissances sur les recherches conduites à Inria et les sujets stratégiques pour mon entreprise, ont facilité le dialogue avec les chercheurs d’Inria. Ceci nous a permis de proposer un projet dans une logique "gagnant-gagnant" !»
« Comme beaucoup d’industriels, TotalEnergies utilise des calculs sur ordinateur, des "simulations numériques", pour différentes applications : développer de nouveaux produits et de nouveaux matériaux ou comprendre des phénomènes complexes, comme les écoulements de fluides en sous-sol, ce qui s’avère crucial afin d’évaluer par exemple des solutions de stockage géologique de CO2 », explique Jeanne Pellerin. Les calculs permettent aux ingénieurs d’étudier différents scénarios, là où l’expérimentation en laboratoire ou en conditions réelles s’avère coûteuse, voire dangereuse, ou d’optimiser la forme de certaines pièces, par exemple des joints d’étanchéité. Constitués de matériaux élastomères (caoutchouc), ces derniers remplissent des fonctions indispensables au fonctionnement et à la sûreté de systèmes mécaniques.
Des maillages construits en cubes ou en pyramides
Une simulation numérique se fonde sur un modèle mathématique, décrivant de façon abstraite la situation étudiée, comme le comportement mécanique des joints. Ceux-ci peuvent en effet se déformer de façon importante, plus de cinq fois leur taille initiale, sous l’effet de la pression ou de la température auxquelles ils sont exposés. « Il est impossible de calculer ces déformations à l’aide d’une formule simple et les ingénieurs utilisent alors l’ordinateur afin de les évaluer en différents endroits de la pièce étudiée », précise Dmitry Sokolov. La première étape de la simulation consiste ainsi à construire un "maillage", obtenu après découpage de l’objet en formes géométriques simples, comme des pyramides (les ingénieurs parlent de "maillage tétraédrique") ou des cubes ("maillages hexaédriques").
De façon générale, plus le maillage est fin, c’est-à-dire constitué de pyramides ou de cubes de petite taille, plus le calcul est précis… mais plus le temps nécessaire à la simulation numérique devient important ! Une difficulté supplémentaire se pose pour calculer les grandes déformations. Le maillage se déformant en même temps que la pièce, les pyramides ou les cubes ont tendance à s’aplatir, causant des difficultés de calcul. Dans certains cas, il devient alors nécessaire de produire un nouveau maillage afin d’obtenir la précision recherchée. Pour la simulation des grandes déformations, les ingénieurs privilégient ainsi les maillages hexaédriques, car ils sont connus pour mieux résister à l’aplatissement et permettre des calculs plus précis que les maillages tétraédriques.
« Construire un maillage, constitué qui plus est d’une majorité d’hexaèdres, représente l’essentiel des efforts et du temps d’un ingénieur. Il n’est pas rare de consacrer une semaine de travail à l’élaboration d’un maillage afin de réaliser une simulation ne demandant que dix minutes de calcul ! », commente Jeanne Pellerin.
Des techniques issues de la synthèse d’image
Disposer de techniques de maillage hexaédrique efficaces, demandant le moins de temps possible aux ingénieurs et s’adaptant à des objets de formes variées constitue donc un enjeu technique autant qu’économique. Cet objectif occupe les chercheurs en simulation numérique depuis une quarantaine d’années et, si beaucoup de progrès sont constamment accomplis par la communauté scientifique internationale, il subsiste de nombreux verrous technologiques bloquants pour les applications industrielles.
Les chercheurs de l’équipe Pixel apportent à TotalEnergies des solutions innovantes, issues des recherches engagées il y a une quinzaine d’années dans le domaine de la synthèse d’image par l’équipe Alice, alors dirigée par Bruno Lévy, actuel directeur du centre Inria Nancy – Grand-Est. « Fondés sur le traitement géométrique des données 3D, les outils développés au sein d’Alice trouvaient leur application dans la création de films d’animation et de jeux vidéo. Permettant par exemple de plaquer des textures sur des objets en trois dimensions, ces techniques s’avèrent particulièrement adaptées à la création et à l’optimisation de maillages hexaédriques : notre approche du problème est donc plutôt originale et nous semble très prometteuse ! », souligne Dmitry Sokolov.
Un sujet propice à une collaboration scientifique
C’est à David Desobry, jeune ingénieur diplômé de l’ENSIMAG et doctorant chez Inria depuis septembre 2020, par ailleurs embauché au sein de l’équipe Pixel après y avoir réalisé son stage de fin d’études, que reviennent les principales recherches. Elles ont pour but de développer une méthode robuste de génération de maillage hexaédrique pour les applications industrielles visées. « Pour sa première année de thèse, David expérimente différentes options proposées par l’équipe Pixel afin d’identifier celles qui semblent les plus efficaces et qui de plus s’avèrent exploitables dans les outils de simulation numérique utilisés par TotalEnergies », détaille Jeanne Pellerin. Le jeune chercheur aura alors deux ans pour améliorer et tester ces méthodes, proposer et valider de nouvelles idées…
« Le champ d’application de nos recherches est vaste et ces travaux entament une collaboration que nous espérons inscrire dans la durée, conclut Dmitry Sokolov. TotalEnergies est un partenaire stratégique pour l’équipe Pixel et le sujet des maillages hexaédriques est idéal puisqu’il pose des questions théoriques intéressantes aux chercheurs et qu’il trouve en même temps des applications industrielles utiles aux ingénieurs. »
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