Concevoir un fauteuil roulant capable de s’adapter aux déficits spécifiques de l’utilisateur ou utilisatrice, à son état de fatigue et permettant de mettre à jour à tout moment son dossier médical, c’est l’objectif du projet Sysiass (2010-2013) qui associe les chercheurs de l’École centrale de Lille, de l’Isen Lille et des universités du Kent et de l’Essex, au Royaume-Uni, ainsi que les hôpitaux de l’université du Kent et de l’Institut catholique de Lille. « Les équipes anglaises ont des compétences complémentaires des nôtres. Nous avions travaillé avec l’université de Kent sur un projet de navigation autonome pour les robots mobiles et les bateaux ; il était naturel de continuer sur ce projet et d’y associer les chercheurs et chercheuses de l’université de l’Essex qui travaillent sur la conception des nouvelles interfaces humain-machine pour les fauteuils roulants électriques », explique Annemarie Kökösy de l’Isen de Lille qui coordonne Sysiass.
Nous devons être sûr de répondre à de vrais besoins. C’est pourquoi les utilisateurs et utilisatrices sont associés au projet pour préciser ces besoins et tester les dispositifs.
Le parti-pris du projet est de pouvoir adapter le degré d’autonomie du fauteuil - depuis l’aide à la conduite jusqu’à la navigation autonome - en fonction des capacités de l’utilisateur ou utilisatrice. Et de s’assurer par ailleurs que le dispositif puisse équiper les fauteuils roulants existant sur le marché. « Nous nous sommes basés sur le fait que les personnes handicapées souhaitent garder autant que faire se peut la maîtrise de la conduite de leur fauteuil », souligne Annemarie Kökösy. Un premier prototype d’aide à la conduite a d’ores et déjà été réalisé et est actuellement testé par la Fondation de Garches et le CIC-IT de l’hôpital Raymond Poincaré à Garches. Ce prototype ralentit la vitesse du fauteuil à l’approche d’obstacles dangereux et l’arrête si l’utilisateur ou l'utilisatrice ne l’a pas ordonné soi-même, en fournissant un retour visuel permettant de situer le danger. Le second scénario prévu est semi-automatique, le fauteuil contournant de lui-même l’obstacle si l’utilisateur ou utilisatrice n’a rien fait et passant automatiquement les portes. Les besoins étant très variables selon les interlocuteurs, les chercheurs ont lancé une enquête européenne dans le but de répertorier les besoins. Ils pourront ainsi intégrer l’ensemble des solutions dans un même dispositif. « Les résultats de l’enquête seront disponibles en janvier ou février mais je vois déjà émerger des premiers retours un troisième scénario : la possibilité de laisser le fauteuil se diriger seul vers l’endroit qui lui est indiqué, vocalement par exemple. »
Les deux autres versants du projet sont moins avancés. L’un porte sur la conception d’un module de communication sécurisée, une spécialité de l’équipe du Kent. Il permettra aux personnels hospitaliers et aux aides à domicile de partager facilement les informations du dossier médical et de les mettre à jour sur le lieu même de leur intervention. L’autre vise à inventer des systèmes de commande alternatifs au joystick afin d’améliorer l’autonomie de personnes tétraplégiques par exemple. L’équipe de l’Essex travaille notamment sur une interface vocale et une interface fonctionnant avec la détection des mouvements oculaires.
Effet connexe de la mise en réseau des participantes et participants dans le projet Sysiass : travailler avec les personnels médicaux et les utilisateurs et utilisatrices fait émerger de nombreux autres besoins pour améliorer la vie des personnes handicapées, à l’hôpital comme au domicile. « C’est l’occasion pour les étudiantes et étudiants de l’école d’ingénieurs de travailler sur des petits projets, comme la conception d’une commande vocale pour smartphone ou pour la télécommande de la télévision. Sysiass a lancé une dynamique, qui pourra déboucher sur d’autres projets de plus grande envergure ! »
L’automatique au service du handicap
« J’ai coutume de dire que l’automatique développe du soft pour le hard », raconte Jean-Pierre Richard, responsable de l’équipe Non-A, membre du Lagis-CNRS et professeur à l’École centrale de Lille. « À ce titre, l’automatique est à la fois omniprésente et invisible pour les utilisateurs et utilisatrices. » On ne sera donc pas étonné que cette discipline soit également convoquée dans le projet Sysiass. En effet, un fauteuil roulant automatique ou semi-automatique doit savoir adopter les bons mouvements pour éviter les obstacles ou passer correctement une porte. Il doit également être capable de se localiser dans l’espace, de détecter les obstacles et de construire une carte de son environnement. La première obligation relève de la théorie du contrôle et la seconde du traitement du signal. Deux domaines pour lesquels les chercheurs et chercheuses de Non-A développent des théories et des algorithmes qui trouveront leurs applications aussi bien dans la gestion d’un barrage hydroélectrique que dans des systèmes économiques ou des systèmes robotisés, le domaine d’application de prédilection de l’équipe.
Il est très appréciable de pouvoir faire le lien entre notre approche théorique et sa concrétisation dans une application menée jusqu’au stade du prototype.
Le projet Sysiass a déjà conduit à la publication d’un résultat important lors de la conférence de robotique ICRA cette année, sur la possibilité de se localiser avec un seul "point de repère" au lieu des trois jugés jusqu’ici indispensables pour calculer une position. L’astuce est de se servir du modèle de mouvement (du bateau, du robot ou, en l’occurrence, du fauteuil), pour reconstruire les données manquantes. Mais aussi de reconstruire très rapidement les dérivées des signaux capteurs, ce qui est une spécialité de l’équipe. Le fauteuil est capable d’identifier dans son environnement des points fixes (porte, armoire) qui sont autant de repères absolus mais qui, au cours de ses déplacements, peuvent être perdus de vue : même alors, il pourra continuer de se localiser, avec un seul de ces repères. « Pour nous, chercheurs, le défi intéressant est d’aller jusqu’à la réalisation concrète du dispositif. Cela nécessite un vrai couplage managérial avec les équipes d’ingénieurs de l’Isen qui ont les compétences en développement. C’est possible chez Inria car l’institut a la volonté de développer des applications utiles pour la société. »