Fabrice Neyret, chercheur CNRS au sein de l’équipe Maverick au centre Inria de Grenoble - Rhône-Alpes, est un spécialiste des images de synthèse. Son domaine : reproduire la nature, dans toute son immensité et tous ses détails, si possible en temps réel. Rien d’étonnant alors à ce que RSA Cosmos, qui réalise des planétariums numériques interactifs, ait fait appel à lui pour l’ambitieux projet veRTIGE. L’entreprise souhaitait ajouter à son produit une galaxie virtuelle, en qualité Hubble, dans laquelle le spectateur pourrait se déplacer n’importe où en temps réel. Il s’immergerait alors dans le spectacle majestueux des amas d’étoiles se fondant en un fluide lumineux, entrecoupé par les écharpes de nuages sombres des grandes spirales, elles-mêmes piquées de nébuleuses luminescentes sous le feu des géantes bleues justes nées qui bombardent d’UV leur cocon poussiéreux.
Une mission périlleuse
Ce projet, labellisé en 2010 par l’Agence nationale de recherche, accumule les premières mondiales, comme le souligne Benjamin Cabut, président de RSA Cosmos. C’est en effet la première visualisation de vrais résultats de simulation astrophysique de galaxie intégrant les différents modèles stellaires et galactiques. Il s’agit également de la toute première visualisation interactive construite à partir de véritables volumes semi-transparents et non plus d’une simple volée de points.
« Tout était difficile dans ce projet, explique Fabrice Neyret. Nous avions affaire à une quantité “astronomique“ de données, et à une immense disparité de phénomènes physiques. Par ailleurs il fallait coupler des choses très différentes : une simulation physique très floue du contenu galactique, des catalogues d’étoiles (partiels), et des algorithmes d’amplification pour créer les détails manquants tout en se conformant aux observations statistiques et aux images Hubble de référence. » La mission était d’autant plus périlleuse que tous les calculs devaient être réalisés en 1/60ème de seconde, dans des volumes semi-transparents, dans toutes les longueurs d’ondes de la lumière, « soit dix millions de fois plus vite que dans le cadre des effets spéciaux de cinéma, pourtant basés sur du travail d’artiste et non sur les vraies données et équations. »
Une transdisciplinarité indispensable
La mise au point de cette galaxie virtuelle est le fruit d’une collaboration intense entre RSA Cosmos, Maverick et l’observatoire Paris-Meudon, qui a fourni les données et modèles d’astronomie et d’astrophysique. « Astronomes et astrophysiciens s’attachent à la précision abstraite de leurs modèles souvent très pointus, mais pas à rendre compte de chaque détail de forme et de couleur. C’est pourtant ce qui intéresse le public qui regarde les images de télescope… et nous, dont le travail est de recréer des images de synthèse. Pour comprendre et reproduire ce que nous voyons dans les images Hubble, il restait un travail énorme pour assembler le puzzle scientifique (incomplet), mais aussi pour retravailler les modèles et équations. Même côté algorithmique, il y a un gouffre culturel. Si leur simulation “Galmer“ nous fournit bien une “forme nue“ de galaxie, elle demande des mois de calcul sur superordinateur, pour des résultats très flous, et occupant bien plus de mémoire que ce dont dispose un ordinateur domestique. Nous sommes très loin de la logique de 3D réaliste temps réel sur PC façon jeux vidéo, qui est celle qu’il nous fallait au final ! »
Ce projet était énorme, aux limites de ce que peut embrasser un esprit humain, mais il a été passionnant à tout point de vue.
Côté Maverick, Fabrice Neyret a donc dû retravailler les modèles, données et algorithmes afin de les adapter au calcul d’images
Les principaux participants :
RSA Cosmos : Mikaël Lermercier, Reynald Arnerin, Benjamin Cabut
Observatoire de Paris-Meudon : Yannick Boissel, Frédéric Arenou, Françoise Combes, Paola Di Matteo
Equipe Maverick (Laboratoire Jean Kuntzmann, Inria) : Fabrice Neyret, Pascal Guehl
réalistes en temps réel, par des ordinateurs classiques aux capacités limitées. Un des secrets, au cœur des thématiques des équipes-projets Evasion et Maverick : générer à la volée le strict minimum nécessaire à l’image. « C’est comme cela que nous pouvons représenter l’infinie complexité du monde en temps limité sur un ordinateur limité. »
Au final, après quatre ans de travail, l’équipe collégiale a réussi à mettre au point plusieurs modèles haute qualité des différents phénomènes, articulés sur la technologie “GigaVoxels“ de Maverick. De là, RSA-Cosmos a pu tirer une première version intégrée à son logiciel Sky Explorer, disponible pour les planétariums. « Ce projet était énorme, aux limites de ce que peut embrasser un esprit humain, mais il a été passionnant à tout point de vue » conclut le chercheur. « Nous sommes restés en contact. On aimerait bien trouver les moyens de poursuivre ! »