Transport

Les véhicules autonomes sont-ils vraiment pour demain ?

Date:
Mis à jour le 12/08/2022
Depuis plusieurs années, constructeurs automobiles et entreprises technologiques se concentrent très fortement sur ce qui pourrait être l’avenir de la mobilité : les véhicules autonomes. Un avenir qui semble, pourtant, bien plus lointain qu’envisagé.
véhicules autonomes
© Inria / Création et photo A. Audras

Voiture autonome ou le rêve de la conduite sans chauffeur

Et si votre voiture pouvait vous emmener d’un point A à un point B sans que vous ayez à mettre les mains sur le volant ni à vous soucier de la route ? Les véhicules autonomes nourrissent, depuis de nombreuses années déjà, l’imaginaire de la culture populaire, allant même jusqu’à prendre un rôle important dans les films de science-fiction dès les années soixante (la Batmobile de Batman, en 1966, était en mesure de conduire de manière autonome, tout comme la voiture K.I.T.T. de la série K-2000, à partir de 1982).

Un rêve que les acteurs du secteur de la mobilité espèrent voir devenir réalité. Aujourd’hui, la conduite autonome figure en bonne place dans l'agenda des constructeurs automobiles, mais aussi des géants de la Tech comme Google, et de nombreuses startups du secteur. Mais qu’en est-il réellement de leur développement ? Pourrons-nous voir des véhicules autonomes à 100% sur nos routes dans 5, 10, ou 20 ans ?

Cinq niveaux pour un futur autonome sur les routes

Une voiture à conduite autonome est un véhicule privé ou public qui utilise une combinaison de capteurs, de caméras, de radars et d'intelligence artificielle (IA) pour percevoir son environnement, l’analyser et l’interpréter en le décomposant sous forme d’objets (obstacle, piéton) et de navigabilité (route, chaussée, etc.). Ce cheminement lui permet ainsi d’élaborer des stratégies de navigation différentes, pour se déplacer entre des destinations ou effectuer des manœuvres particulières sans opérateur humain.

Pour atteindre cet idéal, l'industrie automobile et la Society of Automotive Engineers se sont entendus pour classifier fonctionnellement l'automatisation des véhicules en cinq niveaux, chacun d’entre eux correspondant à un degré d'automatisation supplémentaire :

  • Le niveau 1 est l'assistance au conducteur, où le véhicule est capable de contrôler la direction ou le freinage, mais pas les deux simultanément.
  • Le niveau 2 est une automatisation partielle, où la voiture peut aider à la fois à la direction et au freinage simultanément, mais votre attention est requise sur la route à tout moment. L'Autopilot de Tesla et la Super Cruise de General Motors en sont des exemples.
  • Le niveau 3 est une automatisation conditionnelle, dans laquelle certaines circonstances permettent à la voiture de gérer la plupart des aspects de la conduite et le conducteur a la possibilité de quitter temporairement la route des yeux.
  • Le niveau 4 est celui de l'automatisation poussée, où, dans certaines conditions, la voiture peut prendre le contrôle total, ce qui permet au conducteur de se concentrer sur d'autres tâches.
  • Enfin, le niveau 5 est celui de l'automatisation totale. Dans cette situation hypothétique, la voiture peut conduire seule, sans conducteur ni même volant.

En Europe, depuis le 14 juillet dernier, les véhicules équipés d'un système de pilotage automatique dit de niveau 3 sont en mesure de rouler en autonomie dans les zones autorisées. En France, le décret autorisant la conduite autonome de niveau 3, paru au Journal officiel en juillet 2021, prendra effet à partir du 1er septembre 2022. Ces véhicules ne pourront circuler que dans des conditions précises : sur des voies sans piétons ni cyclistes, sur des routes dotées d’un séparateur central entre les sens de circulation, et à une vitesse de 60 km/h maximum. « Ces contraintes limiteront grandement les zones où ces conditions sont réunies, comme les périphériques et certaines routes nationales par exemple », indique Fawzi Nashashibi, responsable de l’équipe-projet RITS du centre Inria de Paris.

Mais que manque-t-il, alors, pour que les véhicules existants aujourd’hui puissent espérer atteindre le niveau 5 ?

Des freins techniques, juridiques et réglementaires

Le premier obstacle à surmonter dans le développement des voitures autonomes est technique, illustré notamment par les accidents, très médiatisés, mettant en cause ce type de véhicule.

La majorité des accidents recensés aujourd’hui sont en effet en grande partie dus à des problèmes de perception des véhicules autonomes. « Pour l’instant, les véhicules autonomes savent faire des choses dans des environnements simples, mais dès qu’ils arrivent dans un environnement urbain, cela devient trop compliqué pour eux. Les capteurs actuels n’ont pas la capacité de percevoir l’environnement comme l’humain le fait », explique Anne Spalanzani, chercheuse au sein de l’équipe-projet CHROMA du centre Inria de l’Université Grenoble Alpes.

Ils n’arrivent, par exemple, pas encore à percevoir l’environnement dynamique, à faire la différence entre un arbre et un piéton

                                                                                                                                                                Fawzi Nashashibi

Un autre point noir dans le développement des véhicules autonomes est leur manque d’équipements de communication. Qu’ils soient dédiés à la réception de consignes de conduite ou d’alertes de sécurité, ils donnent aux voitures la faculté de coopérer avec d’autres véhicules ou avec les infrastructures, pour anticiper de potentiels dangers, mais aussi partager leurs modèles d’environnement pour consolider la perception de l’environnement.

« Le sujet a été polémique pendant très longtemps. Beaucoup d’acteurs du secteur ne concevaient les véhicules autonomes que par leur propre autonomie », indique Fawzi Nashashibi, avant d’ajouter « aujourd’hui, on commence à se rendre compte qu’il faut équiper les véhicules de moyens de communication, mais on ne sait pas qui doit le faire, les constructeurs ou les opérateurs, et quel modèle de communication va devenir la norme entre celui de la mobilité avec des applications mobiles dédiées, ou du tout intégré au sein même du véhicule ». 

Enfin, de nombreuses questions juridiques et réglementaires restent actuellement de véritables points bloquants face à l’intégration des véhicules autonomes sur nos routes : Qui est responsable en cas d’accident mettant en cause un véhicule autonome ? Comment les assurances vont-elles prendre en charge ce type d’accident ? Qui vérifiera que les bases de données utilisées pour l’apprentissage des intelligences artificielles sont suffisantes et n’induisent pas des biais ? Et surtout, le code de la route doit-il lui aussi évoluer pour s’adapter à l’arrivée des véhicules autonomes ? « La question n'est pas seulement de savoir quand ces technologies arriveront, mais également si nous allons être prêts à les accueillir et en mesure de les utiliser de la meilleure façon possible », explique Anne Spalanzani.

Des défis à relever pour la recherche

Tout comme les industriels et géants de la Tech, nombreux sont les chercheurs à s’intéresser au futur de la mobilité, et plus précisément aux véhicules à conduite autonome.

Inria compte ainsi plusieurs équipes-projets dans le domaine, comme RITS, qui développe des logiciels pour la navigation des véhicules intelligents, CHROMA, qui travaille sur la détection et la prédiction des environnements (représentée dans des grilles probabilistes) et sur le développement de stratégies de navigation socialement acceptables lorsque le véhicule est entouré de piétons (voire de foule), ou encore ACENTAURI, dont l'objectif est d'étudier et de développer des robots intelligents, autonomes et mobiles qui collaborent entre eux pour accomplir des tâches difficiles dans des environnements dynamiques, et LARSEN, dont le responsable François Charpillet travaille sur de la conduite autonome avec ses étudiants en Cifre avec Stellantis (ex-PSA). Le projet de startup Avacar, créé au sein d’Inria, est quant à lui spécialisé dans la conduite à distance pour les flottes de véhicules partagés.

De nombreuses autres équipes-projets sont également actives dans le domaine du véhicule autonome, de près ou de loin, notamment sur la navigation autonome, les systèmes embarqués, ou encore la modélisation du trafic et des interactions entre véhicules autonomes et usagers.

Doucement mais sûrement

Pour répondre aux diverses problématiques qui se posent dans le déploiement des véhicules autonomes, les acteurs de la mobilité travaillent aujourd’hui main dans la main avec une certitude : le niveau 5 d’autonomie n’est pas pour demain. 

 Il y a cinq ans, on nous disait qu’en 2020 tout serait autonome… et pourtant, on en est encore loin

                                                                                                                                        Anne Spalanzani

Pour Fawzi Nashashibi, les questions juridiques et réglementaires se règlent petit à petit, grâce notamment à la mise en place de certifications très strictes « Le problème aujourd’hui, c’est que tous les véhicules ne sont pas développés de la même manière, avec des capteurs et des algorithmes différents, par exemple. Mais, pour être certifié, il faut qu’ils répondent à des certifications bien précises ».

La responsabilité du constructeur est quant à elle, depuis peu, appliquée en cas de problème. La gestion des erreurs et des défaillances doit ainsi désormais être prévue dans le développement des véhicules autonomes.

Plus récemment, l'ONU annonçait qu'elle allait étendre la limite actuelle de vitesse des véhicules autonomes de 60 km/h, à 130 km/h. La nouvelle réglementation entrera en vigueur en janvier 2023. L'amendement a été adopté par le Forum mondial de l'harmonisation des règlements concernant les véhicules et s'applique aux voitures particulières et aux véhicules utilitaires légers. L'amendement permet également aux véhicules d'effectuer des changements de voie automatisés.

Les gouvernements, quant à eux, ont encore un certain nombre de décisions importantes à prendre dans le cadre de la transition de la société vers les véhicules à conduite hautement automatisés. En France, le Gouvernement dévoilait fin 2020 sa stratégie nationale de développement de la mobilité routière automatisée, dans le but de « faire de la France le lieu privilégié en Europe du déploiement de services de mobilité routière automatisés ». Basée sur trois principes fondateurs – sécurité, progressivité, acceptabilité – cette stratégie avait pour objectif de placer l’innovation technique, le cadre réglementaire et la démonstration de sécurité au centre des actions publiques.

Les véhicules autonomes et connectés : un livre blanc d'Inria