Les États-Unis et la Chine dominent
Aux États-Unis, la coordination inter-agences fédérales des recherches sur le quantique a démarré en octobre 2014. Quatre ans plus tard, la recherche et le développement des technologies quantiques étaient érigées en priorité nationale par le National Quantum Initiative Act, une loi bipartisane poussée par le Congrès US et signée par Donald J. Trump, qui prévoyait de consacrer 1,2 milliard de dollars au développement de l'information quantique au cours de la prochaine décennie. 625 millions de dollars seront investis, sur cinq ans, dans cinq centres de recherche en sciences de l'information quantique à travers le pays. Le secteur privé et le monde universitaire américains apportent, quant à eux, une contribution supplémentaire de 340 millions de dollars à ces centres.
À côté de cela, le pays peut compter sur les Big Tech, des géants technologiques à la pointe du quantique. En tête de file, Google, IBM et Microsoft, qui développent des efforts considérables pour voir émerger cette technologie. Le premier, qui travaille depuis 2014 au développement de son propre ordinateur quantique depuis son laboratoire d'intelligence artificielle (QuAIL), hébergé par la NASA, annonçait en août 2020 que son ordinateur avait réalisé la toute première simulation quantique d’une réaction chimique. Au même moment, IBM, annonçait être parvenu à doubler la puissance de son ordinateur quantique Raleigh pour atteindre 64 qubits. Enfin, Microsoft a de son côté développé son propre langage de programmation open source, le Q#, pour le développement et l'exécution d'algorithmes quantiques.
Ces mastodontes ne sont, bien évidemment, que la partie émergée d’un vaste écosystème. On notera également le développement important de la société canadienne D-Wave, qui présentait récemment une nouvelle génération de son ordinateur quantique. La startup américaine Rigetti est également suivie de très près. Celle-ci, reconnue pour ses premiers prototypes d’ordinateurs quantiques universels à 19 qubits supraconducteurs, annonçait en août 2020 une levée de fonds de 79 millions de dollars pour accompagner le développement d’un ordinateur à 128 qubits.
La Chine, qui avait souligné l’importance des technologies quantiques dans son 13e Plan quinquennal (2016-20), a de son côté pris l’avantage face aux États-Unis dans les télécommunications quantiques, mais a également rattrapé son retard dans le calcul quantique. Le pays lançait ainsi, en 2016, le programme Quantum Experiments at Space Scale, pour y mener de multiples expériences de communication quantique entre l'espace et le sol. En 2017, Le gouvernement de Xi Jinping annonçait la construction d’un laboratoire national pour les sciences de l'information quantique de 10 milliards de dollars, dans le cadre d'une grande poussée dans ce domaine. Un investissement payant : en décembre 2020, le principal groupe de recherche quantique chinois annonçait avoir créé le prototype d'ordinateur quantique, appelé Jiuzhang, par lequel jusqu'à 76 photons ont été détectés.
Les géants technologiques chinois sont également très actifs dans le domaine. On peut par exemple citer Alibaba qui, en 2015, créait son propre Laboratoire d'informatique quantique avec pour objectif d’y produire, d’ici 2030, un prototype d'ordinateur quantique à usage général doté de 50 à 100 qubits. L’entreprise a également investi 15 milliards de dollars dans l’intelligence artificielle, la fintech et la recherche quantique. Le moteur de recherche Baidu annonçait, quant à lui, la création de l'Institut d'informatique quantique en mars 2018. La même année, Tencent lançait à Shenzhen le Tencent Quantum Lab, dédié à la recherche scientifique en informatique quantique.
L’Europe, jamais loin derrière
Parmi les écosystèmes engagés dans cette course à l’informatique quantique, l’Europe a, elle aussi, déployé des efforts considérables pour se positionner parmi les meilleurs. En mai 2016, 3 400 personnalités de la science, de la recherche et du monde de l’entreprise signaient le Manifeste quantique, un document appelant les États membres et la Commission européenne à formuler une stratégie commune pour que l'Europe reste à l'avant-garde de la deuxième révolution quantique.
Deux ans plus tard, en octobre 2018, la Commission européenne lançait le Quantum Technologies Flagship, un programme de soutien aux travaux de centaines de chercheurs en sciences quantiques pendant dix ans, avec un budget prévu d'un milliard d'euros. Son objectif : soutenir la transformation de la recherche européenne en applications commerciales qui exploitent pleinement le potentiel des technologies quantiques.
À côté de cela, les pays de l’Union européenne lancent leurs propres initiatives dédiées au quantique, le Royaume-Uni et l’Allemagne en tête. En 2013, le Royaume-Uni était ainsi le premier pays européen à annoncer une stratégie quantique, avec un investissement de 370 millions d'euros sur cinq ans avant de créer, en 2018, un centre national d'informatique avec pour objectif de concevoir, développer et construire un ordinateur quantique. Enfin, en juin 2019, le gouvernement britannique annonçait un investissement supplémentaire de 153 millions de livres sterling sur le quantique, avec un engagement de l'industrie de 205 millions de livres sterling.
L’Allemagne, de son côté, annonçait en 2018 le développement d’un programme-cadre visant à mettre les technologies quantiques sur le marché. Ce pays a également alloué un financement de 650 millions d'euros à son programme de technologies quantiques. Plus récemment, la chancelière allemande Angela Merkel annonçait que le gouvernement financerait un programme d'innovation de 2 milliards d'euros pour la technologie quantique, y compris l'investissement dans deux ordinateurs quantiques.
Les Pays-Bas se sont également lancés dans la course. La secrétaire d'État aux affaires économiques et à la politique climatique, Mona Keijzer, annonçait ainsi début 2020 qu'environ 23,5 millions d'euros seraient investis dans les technologies quantiques au cours des cinq prochaines années.
La France parmi les leaders européens du quantique
Et la France, dans tout ça ? Si elle ne peut pas prétendre avoir autant de force de frappe que les États-Unis et la Chine, la France peut tout de même se targuer d’être l’un des leaders européens dans l’informatique quantique.
En avril 2019, le gouvernement confiait ainsi à la députée LREM Paula Forteza, à l'ex-PDG de Safran Jean-Paul Herteman, et au directeur de recherche du CNRS Iordanis Kerenidis une mission relative aux technologies quantiques. Quelques mois plus tard, en janvier 2020, le rapport Quantique : le virage technologique que la France ne ratera pas était remis au Gouvernement. Ce rapport, qui contient une liste de propositions pour faire de la France un des leaders mondiaux de l’informatique quantique, devrait aboutir à l’annonce d’un plan national d’ici la fin de l'année 2020.
Une initiative qui devrait, entre autres, profiter à la recherche française. Le rapport propose notamment de créer trois instituts interdisciplinaires en information quantique à Paris, Saclay et Grenoble, dans lesquels chercheurs en physique quantique, en informatique théorique et appliquée, et ingénieurs et industriels des filières technologiques travailleraient main dans la main.
L’Hexagone bénéficie en effet d’un important vivier de chercheurs dans ce secteur et les technologies qui y sont liées. Ces scientifiques sont regroupés dans les laboratoires du CNRS, d’Inria et du CEA, mais également dans des pôles d’excellence, au sein de l’université Paris-Saclay, et à Grenoble avec le projet Quantum Silicon. Plusieurs d’entre eux sont particulièrement reconnus dans le domaine du quantique, à commencer par Serge Haroche, prix Nobel en 2012, mais aussi Alain Aspect, Philippe Grangier et Jean Dalibard, pour leurs expériences conduites à l'université d'Orsay en 1982 sur l’intrication quantique.
Le secteur privé n’est pas en reste. Plusieurs entreprises s’investissent dans le domaine, à commencer par Atos, qui lançait en 2016 le programme Atos Quantum pour anticiper le développement de l'informatique quantique. Le spécialiste de la transformation digitale a, par la suite, développé un module de simulation du bruit quantique au sein de son offre Atos QLM, aujourd’hui utilisée dans de nombreux pays. EDF et Total ont, eux aussi, lancé des programmes dédiés à l’informatique quantique, et collaborent tous les deux avec la startup Pasqal, spécialisée dans la construction de simulateurs quantiques programmables et d’ordinateurs quantiques composés de matrices atomiques 2D et 3D. Airbus, quant à lui, lançait en 2019 un concours international dans le domaine de l'informatique quantique, invitant des experts à proposer et développer des solutions de modélisation et d'optimisation complexes dans l'ensemble du cycle de vie des avions. Les lauréats, dévoilés en décembre 2020, devraient commencer à travailler avec les experts d'Airbus dès janvier 2021, pour tester et comparer leurs solutions.
Enfin, la France compte à ce jour un fonds d’investissement dédié au financement des startups quantiques : Quantonation, fondé par Charles Beigbeder, Christophe Jurczak et Olivier Tonneau en décembre 2018. Celui-ci a notamment investi dans Quandela, une spin-off du Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies (C2N, CNRS-université Paris-Saclay) créée en 2017 par Pascale Senellart (directrice de recherche CNRS), Valérian Giesz, et Niccolo Somaschi, et spécialisée dans le développement d’émetteurs de qubits photoniques sous la forme de photons uniques pour le développement d’ordinateurs quantiques optiques. La startup française Pasqal fait également partie de ses investissements.