Quand un algorithme classique évalue les performances des ordinateurs quantiques
Date:
Mis à jour le 05/03/2025
Schéma représentant les limites supérieures et inférieures de l'aimantation pour l'état d'équilibre thermique
Omar Fawzi est directeur de recherche au sein de l’équipe-projet QInfo, (Optimal Information Processing with Quantum Devices), bilocalisée à Lyon et Grenoble, commune avec l’ENS de Lyon, l’Université Claude Bernard Lyon 1 (UCBL) et l’Université Grenoble Alpes. En 2021, il a décroché une bourse du Conseil Européen de la Recherche (ERC) jusqu’en 2026. L’objectif de ce financement ? Développer des algorithmes classiques au service de l’informatique quantique.
Un des résultats parmi les plus prometteurs de ce projet a été publié dernièrement dans la prestigieuse revue Nature Communications.
« Je mène ces recherches avec mon frère, Hamza, chercheur au Département de mathématiques appliquées et de physique théorique à l’université de Cambridge, confie Omar Fawzi. Avec son doctorant Samuel Scalet, nous avons découvert ensemble une famille d’algorithmes capables de calculer les propriétés de systèmes quantiques, dans le but de les évaluer et de réaliser un benchmark pour les algorithmes de simulation quantique. »
Pour bien comprendre cette démarche, revenons d’abord aux fondamentaux de la théorie quantique. Développée au 20e siècle, celle-ci décrit le comportement des particules. Contrairement à la physique classique, où un système ne peut être que dans un seul état dans un lieu précis et à un temps donné, un système quantique peut se trouver simultanément dans une superposition cohérente de tous ses états possibles. C’est ce qui rend sa description si difficile.
« Prenons l’exemple d’un système comptant n particules, illustre Omar Fawzi. Chaque particule est caractérisée par son "spin", dont la valeur est soit "up", soit "down". Pour décrire ce système, j’ai donc besoin de 2 (up et down) puissance n (= 2n) paramètres. » Le système quantique présente donc un caractère exponentiel beaucoup plus difficile à aborder que le caractère binaire (0 et 1) d’un système classique. C’est ce qui lui donne toute sa complexité...
La conséquence ? Cette complexité limite la capacité à prédire et donc à comprendre le comportement d’un système quantique à plusieurs particules. Face à cette difficulté qui entrave l’exploitation de la mécanique quantique, le physicien Richard Feynman émet, dans les années 1980, l’idée de concevoir un ordinateur exploitant les lois quantiques, afin de simuler ces systèmes.
Petite révolution lors de la décennie suivante : l’informaticien Peter Shor conçoit un algorithme quantique capable de décomposer de très grands nombres en produits de facteurs premiers en un temps record. Actuellement, aucune méthode classique n’a surpassé sa rapidité.
Néanmoins, aujourd’hui encore, la construction de l’ordinateur quantique reste un projet en devenir. Car seul son modèle mathématique est effectif. Quelle est l’avancée apportée par Omar Fawzi et son équipe ?
« Nous avons revisité le problème en l’abordant différemment, avec l’utilisation d’un algorithme classique notamment, précise le chercheur. Cette idée n’est pas totalement nouvelle car de nombreux physiciens y ont recours pour connaître les propriétés physiques du système quantique qu’ils étudient. Mais la particularité de notre recherche réside dans la "généralité" de notre algorithme. » Cet algorithme présente en effet un atout de taille : il peut être appliqué au calcul des propriétés physiques de n’importe quel système quantique.
De surcroît, il présente un autre avantage : il est capable de certifier les résultats obtenus. « Dans le cadre de cette problématique complexe, nous avons développé un algorithme capable d’offrir des résultats acceptables, en un temps limité, explique Omar Fawzi. Avec cet algorithme dit "certifié", nous sommes certains que la valeur obtenue est proche de la réalité, comprise à coup sûr dans un intervalle précis. »
Bien qu’il conduise à une relative approximation, l’algorithme s’appuie sur le choix d’un nombre fini de contraintes. Avec une finalité : résoudre le problème de manière contrôlée.
La mise au point de cet algorithme constitue une contribution particulièrement importante pour la théorie quantique, souligne Omar Fawzi. Car avec lui, le problème du calcul des propriétés physiques de systèmes quantiques est devenu "décidable", c’est-à-dire qu’il existe un algorithme capable de répondre à ce problème en un nombre fini d’étapes. Ce qui n’avait jamais été le cas auparavant.
La revue Nature Communications a mis en avant cette avancée : pour la première fois, un algorithme est capable de calculer les propriétés physiques pour tous les systèmes quantiques dans des limites définies !
Aujourd’hui, le travail de recherche réalisé par Omar Fawzi reste encore préliminaire et théorique. Quelle sont les prochaines étapes ? « Notre ambition est de rendre notre algorithme plus efficace lorsqu’il sera implémenté et opérationnel, résume le chercheur. Il devrait permettre de réaliser un benchmark pour évaluer la performance des ordinateurs quantiques dans le futur. Nous comparerons les performances des algorithmes classiques et quantiques. Avec un objectif : connaître et identifier les problèmes particuliers où l’avantage sera du côté de la résolution quantique. »
Si la concrétisation des ordinateurs quantiques reste encore en gestation, chaque avancée nous en rapproche un peu plus…