Défi Inria : Améliorer la détection de cibles sous-marines
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Mis à jour le 18/02/2025
Imaginez : vous êtes seul dans le noir et au loin, vous entendez des pas... quelqu’un arrive. « Dans l’obscurité, vous ne pouvez compter que sur vos deux oreilles pour identifier d’où vient le bruit, décrit Luc Martin, consultant R&D senior chez Naval Group. Vous ne savez pas à quelle distance se situe la menace potentielle. En revanche, vous pouvez vous servir de votre cerveau, qui a sans doute déjà été confronté à ce type de situation pour vous permettre d’en savoir plus et de cerner la situation. Votre expérience peut vous permettre d’évaluer la direction et la distance depuis lesquelles le bruit a été émis. »
C’est exactement la même situation pour un sous-marin plongé dans les profondeurs, lui aussi dans l’obscurité. Il peut écouter pour évaluer d’où les sons viennent, mais en ignorant à quelle distance précise. Pour estimer les positions des objets autour de lui, il dispose d’une seule information : leur direction. Et d’une technique : la trajectographie passive par mesure d’angles (BOTMA - Bearings-only target motion analysis). Celle-ci permet de déterminer la trajectoire d’une cible à partir d’observations.
« Cette méthode suppose que la cible garde une vitesse constante durant l’observation, précise Aymeric Bonnaud, directeur scientifique chez Naval Group. Il s’agit d’effectuer une triangulation, à partir de mesures d’angles, qui tient compte des mouvements des objets autour du sous-marin. » Toutefois, cette approche présente des limites : « Souvent les signaux sont noyés dans les bruits alentours, poursuit Aymeric Bonnaud. De plus, comment faire lorsqu’il y a un seul observateur ? Aucune triangulation n’est possible. » Conséquence : les calculs ne sont pas précis. Ils conduisent même parfois à une infinité de solutions. La clé ? S’appuyer sur des modèles à base d’apprentissage automatique, c’est-à-dire des techniques au cœur de l’intelligence artificielle, pour lever les incertitudes et établir des positions plus fiables.
Dans ce contexte, le centre de recherche de la marine indienne de Défense a sollicité en 2020 Naval Group. L’Inde a depuis longtemps tissé des liens forts avec ce groupe industriel. « Le pays a été le premier capable de construire un sous-marin de design Naval Group du premier coup, sans avoir besoin de fabriquer en France un premier navire de sa classe», revèle Luc Martin.
Afin de relever le challenge soulevé par la marine indienne sur la trajectographie par détection passive, Naval Group s’est rapproché en 2021 de deux partenaires de recherche : l’Institut indien de technologie (IIT) de Delhi et Inria. Il leur a soumis la problématique afin d’explorer de nouvelles voies pour améliorer la technique.
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Le projet est ambitieux et mobilise des compétences variées, comme le traitement du signal, la robotique, la théorie du contrôle, l’intelligence artificielle… Il était donc logique pour nous de lancer une collaboration sous la forme d’un Défi Inria. Les Défis Inria fonctionnent comme des projets interéquipes, avec un programme et des objectifs définis. Dans ce cadre, notre projet est le tout premier Défi Inria de dimension internationale incluant un industriel !
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Directeur scientifique adjoint d’Inria
Par la suite, les trois partenaires ont identifié les équipes de recherche susceptibles de lever les verrous scientifiques du projet. Côté Indiens, l’IIT Delhi s’avère être l’une des toutes meilleures universités du pays. Les chercheurs choisis, Arpan Chattopadhyay et Arun Kumar, sont des scientifiques reconnus dans les domaines du traitement du signal et de l’apprentissage automatique. Côté Inria, le projet est piloté par le Centre Inria de l’université de Lille, avec l’implication des équipes-projets Valse (contrôle et systèmes cyberphysiques) et Modal (Apprentissage statistique sur des données hétérogènes) à Lille, Auctus (Robotique) à Bordeaux, Dance (Robotique, contrôle et estimation) à Grenoble et Larsen (Robotique et intelligence artificielle) à Nancy.
« Le partenariat a été officiellement signé en juillet 2024, pour une durée de cinq ans, financé par Naval Group et le Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (CEFIPRA) », indique Christophe Biernacki. Comment les trois partenaires comptent-ils procéder dans leurs recherches ? « Concrètement, la piste choisie pour améliorer la trajectographie par détection passive vise à proposer différents algorithmes d’estimation, en hybridant des méthodes fondées sur la théorie du contrôle classique et sur l’intelligence artificielle », explique Christophe Biernacki. La théorie du contrôle analyse les propriétés de systèmes dynamiques sur lesquels on peut agir au moyen d’une commande en fonction d’une action. Cette méthode devrait permettre de diminuer les incertitudes de position.
L’intelligence artificielle par apprentissage automatique complétera la solution :
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Les chercheurs et chercheuses vont utiliser des données de trajectoires issues de simulations du domaine naval pour tester et calibrer leurs algorithmes. L’idée est de procurer de l’expérience à l’intelligence artificielle pour améliorer la détection des objets sous l’eau. C’est un peu comme notre cerveau qui, déjà confronté à certaines situations dans l’obscurité, nous aide à estimer la distance d’un bruit, sans aucun autre repère.
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Directeur scientifique de Naval Group
Par la suite, les scientifiques pourraient même avoir accès à des données historiques réelles de sous-marins.
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Cette collaboration sera extrêmement utile pour la conception d'algorithmes de déplacement de cibles (TMA) pour les applications sous-marines. Nous partageons avec Inria une longue histoire de collaboration universitaire, et les deux pays s'efforcent d'approfondir de plus en plus leur coopération en matière de Défense. Je pense que l'expertise complémentaire offerte par les chercheurs et chercheuses d’Inde et de France en matière de traitement du signal, de théorie du contrôle et d'apprentissage automatique permettra de résoudre de nombreux problèmes difficiles liés à la trajectographie passive pour les sous-marins, ce qui profitera aux forces navales des deux pays.
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Chercheur à l’IIT Delhi
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La coopération franco-indienne occupe une place centrale dans notre stratégie internationale axée sur la promotion de collaborations d'excellence afin de renforcer notre positionnement sur la scène mondiale. Ce projet ambitieux, qui relève d’un enjeu majeur en matière de Défense, illustre pleinement l’intensité des échanges entre nos deux nations dans ce secteur stratégique. Premier Défi Inria à dimension internationale incluant un industriel, il favorisera la réalisation de cinq thèses, co-encadrées par les entités mobilisées en France et en Inde, en complément d’un post-doctorat. Cette initiative renforcera sans aucun doute la coopération scientifique entre nos équipes et ouvrira la voie à de futurs projets innovants franco-indiens dans la dynamique instaurée depuis 2013 avec le CEFIPRA, avec lequel nous cofinançons annuellement diverses collaborations de recherche franco-indiennes.
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Directrice des relations internationales d’Inria
« Les derniers mois ont servi à se poser les bonnes questions, progressivement. C’est long, en particulier parce que cela touche un sujet de Défense et du fait des différences culturelles entre la France et l’Inde, observe Luc Martin. Nous y sommes parvenus. » À l’horizon, plusieurs thèses vont être menées : « Nous sommes partis d’un cas d’usage donné par Naval Group et le Centre de recherche de la marine indienne de Défense, les équipes de recherche s’en sont emparées et ont reformulé la problématique pour la transformer en sujets d’étude pour cinq thèses et un ou une postdoc, qui ont été soumis aux scientifiques indiens. Les thèses seront en effet coencadrées par les différentes entités participant à ce partenariat international. L’un de ces travaux de recherche est financé par Naval Group. Nous en sommes au début, mais d’importants jalons ont été posés. »
Des points d’étape sont prévus pour suivre les avancées de ce Défi Inria, au-delà de la supervision des doctorantes et doctorants. L’amélioration de la trajectographie représente un enjeu majeur pour les exploitants de sous-marins, clients de Naval Group. Le projet pourrait donc se poursuivre au-delà du Défi. À suivre…
Ce Défi Inria sur l’analyse améliorée du mouvement des cibles à l’aide d’outils d’intelligence artificielle (Improved Bearings-only Target Motion Analysis Using AI Tools IMAnAI) se compose de quatre modules de travail (workpackages) sur les thèmes suivants :