Mieux comprendre les processus d’apprentissage
L’une des caractéristiques la plus importante pour l’ensemble des équipes impliquées reste leur approche systémique, positionnant l’apprenant toujours au centre de l’étude en considérant l’ensemble de ses interactions avec l’environnement dans lequel il évolue. « Ces recherches ne peuvent être menées sans l’appui des acteurs de terrain que sont les enseignants et les professionnels de l’éducation. Elles restent indissociables des avancées des sciences humaines pour ancrer la transformation numérique de l’école sur les besoins des apprenants, des éducateurs et de leurs environnements » souligne Nicolas Roussel, directeur du Centre Inria de l’université de Bordeaux.
Le premier défi consiste à mieux comprendre les processus cognitifs mobilisés dans une activité d'apprentissage pour un individu, un groupe d’apprenants ou une situation de coopération ; ainsi que leurs liens avec les autres fonctions cognitives associées comme, par exemple, la motivation, l’attention, la mémoire ou encore le raisonnement, et en y incluant également la neurodiversité des apprenants. L’ensemble de ces éléments conceptuels doit être testé pour être validé grâce aux modélisations computationnelles du fonctionnement neurocognitif et à la simulation de situations spécifiques d’apprentissage.
Par exemple, l’équipe-projet Mnemosyne s’intéresse à modéliser les différentes formes de mémoire et à comprendre comment elles interagissent dans les principales fonctions cognitives. Il s’agit par exemple de différencier « savoir-faire » et « savoir » ou apprentissage de généralités et de cas particuliers. Le contexte de cette recherche est l’action exploratoire AIDE dont l’objectif est donc de modéliser l’apprenant. « En combinant des approches numériques, telles que le machine learning, avec des approches symboliques, nous pouvons rendre compte des connaissances préalables de l’apprenant, et ainsi considérer des modèles plus complexes. Un exemple de scène d’apprentissage considéré est celle où un enfant résout un problème ouvert volontairement mal défini, permettant de faire preuve de créativité. Modéliser les différentes formes de mémoire à l’œuvre dans de telles situations conduit à un modèle original de l’apprenant, qui serait d’intérêt en sciences de l’éducation » précise Chloé Mercier, chercheuse dans l’équipe-projet Mnemosyne.
Rendre l’élève acteur de ses apprentissages grâce au numérique
Dans un second temps, les sciences du numérique peuvent favoriser l’engagement de l’apprenant en mettant au point des technologies et environnements numériques interactifs et innovants favorables à l’apprentissage (accessibilité numérique, expérimentation physique, systèmes interactifs avec ou sans personnalisation automatisée, robotique et IA), à fort potentiel pour les EdTechs du secteur.
L’équipe-projet Flowers met au cœur de ses études les motivations intrinsèques et, en particulier, la curiosité comme un accélérateur des apprentissages autonomes et engagés. Les scientifiques développent des technologies adaptatives qui permettent de personnaliser le parcours d’apprentissage de chaque élève. Par exemple, l’algorithme appelé ZPDES, testé à grande échelle avec des enfants de CE1 soumis à des activités d’enseignement du calcul, permet de déterminer, en fonction des réponses, la zone proximale d’apprentissage de l’élève. Très performant, les résultats de son impact sur l’efficacité de l’apprentissage et sur la motivation intrinsèque sont édifiants : les élèves ont non seulement progressé mais leur motivation à faire l’apprentissage était augmentée. Une étude similaire auprès d’enfants avec autisme, et une autre étude appliquant ZPDES dans le domaine de l’éducation thérapeutique, ont aussi été concluantes. Aujourd’hui, cet algorithme est utilisé dans le logiciel éducatif AdaptivMath et dans le service numérique MIA 2nde de remédiation en mathématiques et français, développés par EvidenceB, et mis à disposition des enseignants de cycle 2 grâce au soutien du ministère de l’Éducation nationale.
De son côté, l’équipe-projet Bivwac s’intéresse aux questions d’interaction Humain-Machine, et en particulier, elle explore des approches basées notamment sur la réalité augmentée, la réalité virtuelle, ou encore l’interaction tangible. L’objectif est de concevoir et mettre au point des systèmes interactifs qui permettent de mettre en avant l’engagement, l’implication physique, la collaboration, l’immersion… et donc offrir une expérience utilisateur beaucoup plus riche que ce qu’on peut obtenir avec des systèmes informatiques classiques. Notamment quand les connaissances sont difficiles à transmettre avec des méthodes et des interfaces utilisateur standard. Par exemple, la plateforme Hobit facilite l'enseignement de l'optique ondulatoire et de la physique quantique pour les étudiants et étudiantes notamment par l’expérimentation. Avec l’aide de la réalité augmentée et des interfaces tangibles, ils peuvent aborder des sujets abstraits, tester des hypothèses, visualiser et faire évoluer rapidement des phénomènes physiques en modifiant un certain nombre de paramètres.
Développer les compétences du 21e siècle
Dans un monde en constante évolution, le numérique peut donc être un levier pour développer les compétences du 21e siècle des élèves comme notamment la créativité, la coopération, la communication et la pensée critique essentielles pour aborder la pensée informatique et les sciences numériques.
Ainsi en 2021, dans le cadre de l’appel à projets e-FRAN, l’équipe-projet Potioc a développé une interface innovante hybride alliant le monde physique et le numérique pour favoriser le travail de groupe et permettre aux élèves de coconstruire un savoir en s'impliquant physiquement dans la tâche. Aujourd’hui cette technologie est au cœur de l’activité de la startup Co-Idea. « Grâce à Cards, dispositif de vidéo mapping interactif, nous permettons aux formateurs de développer des sessions collaboratives innovantes intégrant technologie et pédagogie active pour les apprenants, qu’ils soient adultes ou enfants, afin de mieux mobiliser leur aptitudes créatives, communicatives et coopératives ! » précise Philippe Giraudeau, CEO de Co-Idea.
Au-delà du développement de nouveaux outils d’apprentissage, il est également important de mieux saisir comment les nouvelles technologies, comme par exemple, les grands modèles de langage qui, de plus en plus présents dans nos quotidiens (e.g., ChatGPT), impactent l’apprentissage des élèves mais également le métier de formateur. L’équipe-projet Flowers travaille actuellement à ce sujet en collaboration avec l’éducation nationale. « Nous développons une expérimentation avec une dizaine d’enseignants, formés au préalable à nos outils innovants utilisant des agents conversationnels stimulant la curiosité, qu’ils exploitent ensuite en autonomie dans leur classe. Dans cette recherche, nous essayons d'étudier, d'une part, comment renforcer les stratégies de métacognition favorables à la curiosité nécessaire aux apprentissages, et d'autre part, de comprendre l'usage de ces dispositifs par les enseignants en étudiant leur prise en main, leur niveau d’acceptation et leur future appropriation via la construction de nouvelles ressources pédagogiques produites par eux-mêmes » explique Hélène Sauzéon de l’équipe Flowers.
A côté de cela, une autre étude est en cours auprès de collégiens et collégiennes pour évaluer les usages de ChatGPT sur la réalisation des devoirs, avec des mises en situations concrètes où les élèves doivent résoudre des exercices avec cette IA générative. Elle permet d’évaluer leurs capacités à correctement formuler des requêtes ou à apprécier la qualité (pertinence, véracité, etc.) des réponses fournies. En complément, les scientifiques développent une série de vidéos pédagogiques réutilisables à destination du plus grand nombre pour mieux comprendre le fonctionnement des modèles de langage.
Autant d’axes qu’Inria avait déjà identifiés en 2020 dans son livre blanc « Éducation et numérique : enjeux et défis », toujours d’actualité.