Éducation : personnaliser les méthodes d’apprentissage grâce à l’IA
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Mis à jour le 05/03/2025
Jill-Jênn Vie : c’est une vocation qui vient de loin. Mon premier projet professionnel était de devenir professeur en classes préparatoires et j’ai passé l’agrégation de mathématiques. Mais en parallèle, j’avais débuté un doctorat en informatique, consacré justement aux tests dits « adaptatifs » : le contenu à venir s’ajuste en permanence, selon les réponses précédentes de l’élève. Ce domaine m’a fasciné et je n’en suis plus sorti.
J’ai même contribué en tant que développeur au projet public Pix de certification des compétences numériques, dont le moteur est open source et adaptatif. Au sein d’une startup d’État qui comptait alors sept personnes, nous avons créé un service qui totalise aujourd’hui six millions d’utilisateurs actifs. De même, depuis 2023, je collabore avec une autre startup d’État, le Pass Culture. Nous optimisons le système de recommandation, afin de faire découvrir de nouvelles pratiques culturelles aux jeunes de 15-20 ans.
Bref, mon sujet de recherche est inépuisable et me passionne : j’ai assez de travail pour les cent prochaines années !
Les MOOC ne sont pas vraiment adaptatifs. Ce sont les apprenants qui s’adaptent, en consultant à leur rythme le contenu qu’ils souhaitent. Mais les scénarios d’apprentissage sont linéaires et écrits d’avance.
À l’inverse, l’adaptatif basé sur l’IA n’a pas de déroulement prédéfini.
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L’outil teste régulièrement l’élève et selon ses résultats, décide en temps réel du contenu et des questions qui suivront. Apprentissage et évaluation sont imbriqués et interagissent en continu.
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Chercheur membre de l'équipe-projet SODA
Nos algorithmes ressemblent beaucoup à ceux des services de recommandation en ligne, qui vous suggèrent des livres ou des films en fonction de vos centres d’intérêt.
Le Graal serait de pouvoir générer tous les contenus de formation grâce à l’IA. Par exemple, l’élève indiquerait à l’outil qu’il veut apprendre les 2136 logogrammes du japonais courant (jōyō kanji), et le système lui créerait des contenus et des exercices sur mesure, en fonction de son niveau initial, de son objectif et du temps qu’il se donne.
Aujourd’hui, nos algorithmes puisent dans des bibliothèques de ressources préexistantes bien fournies. La personnalisation est moins poussée, mais plus simple à élaborer et à évaluer.
Nous devons doser l’apprentissage pour qu’il ne soit ni trop facile – l’élève s’ennuie – ni trop ardu – il se décourage. Et nous peinons à accéder à de « vrais » étudiants pour des expérimentations en grandeur nature. Car il y a un enjeu éthique à faire des tests randomisés contrôlés : les étudiants qui se forment avec nos outils ont-ils plus de chances d’avoir de bonnes notes ou de réussir leurs examens ?
Comme tout problème d’optimisation, il faut aussi clairement fixer l’objectif de l’apprenant : par exemple bachoter un concours précis, ou identifier ses lacunes en un minimum de questions pour étoffer ses connaissances.
Enfin, les connaissances sont des variables latentes, c’est-à-dire cachées. Même si l’élève répond avec succès à des tests, nous n’avons pas de certitude sur son niveau de maîtrise d’un sujet.
Pour concevoir un outil d’apprentissage, nous devons d’abord formaliser les connaissances à acquérir et leurs prérequis. Les pionniers du domaine créaient des « graphes de connaissances » : les différentes notions y sont représentées dans des nœuds reliés par des arêtes qui symbolisent des liens de prérequis, par exemple, entre addition et multiplication en mathématiques. Il fallait élaborer un tel graphe pour chaque nouveau sujet, puis définir comment l’outil allait évaluer ces connaissances chez l’élève.
Nous voulons remplacer cet échafaudage fastidieux par des modèles génériques, applicables à plusieurs sujets. Nous avons présenté à l’atelier NeurIPS 2024 FM-Assess des travaux qui s’appuient sur des représentations de connaissances pour déterminer quel document soumettre à un apprenant afin d’optimiser ses connaissances, sans recourir à un graphe explicite de connaissances.
Nous concevons principalement des simulateurs d’apprenants, basés sur les résultats de vrais élèves à différents exercices, et des simulateurs d’enseignants qui identifient les stratégies les plus efficaces de personnalisation du contenu.
La période COVID-19 a montré qu’ils restent indispensables pour former et guider les élèves, les motiver, animer une dynamique de classe, réduire les inégalités, etc. Pour ma part, je vois l’IA comme un outil qui leur fera gagner du temps et les aidera à perfectionner leur art.
Verbatim
Avec les grands modèles de langage (LLM), il faut repenser l’évaluation des connaissances. Si seules les notes comptent, les élèves se serviront des LLM pour les booster. Mais si l’on évalue leur raisonnement et qu’on leur préconise des pistes pour s’améliorer, ils utiliseront les LLM pour aiguiser leur compréhension.
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Chercheur membre de l'équipe-projet SODA
Cela dit, un enseignement au numérique et à l’informatique pour tous s’impose si on veut faire reculer les inégalités d’usage de ces nouveaux outils.
Ils sont bien adaptés aux mathématiques, à la programmation informatique, aux QCM en général, aux compétences numériques, aux bases de langues étrangères... Mais pas (encore) aux dissertations et à la philosophie.
Mes enseignants préférés étaient soit des professeurs agrégés, soit des chercheurs Inria ! J’aime particulièrement les journées scientifiques Inria : on découvre que tout le monde travaille sur des sujets différents, dans un climat d’excellence et de bienveillance. Il y a aussi tout un environnement humain pour nous aider à développer des projets : en tant que chercheur, on peut difficilement rêver mieux.
Être l’un des seuls dans son domaine peut être à la fois déprimant et confortable ! Je ne comprends pas pourquoi les innovations sont très majoritairement américaines ou plus récemment chinoises. J’ai l’impression que les sujets interdisciplinaires n’ont pas la cote en France. Et les étudiants intéressés par ces sujets sont rares, donc j’essaie d’en prendre soin.
Heureusement, depuis 2023 je fais partie du Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN), qui compte 30 chercheurs dans divers domaines, tous au service de l’apprentissage des élèves. Nous co-animons avec Séverine Erhel un groupe de travail sur numérique, IA et éducation. Autant d’occasions de dialoguer avec des collègues et de renouveler mon inspiration !