Julie Josse : des statistiques médicales d’utilité publique
Date:
Mis à jour le 27/11/2024
Julie Josse n’a pas eu une vocation précoce pour les statistiques. Mais en 2007, quand elle rejoint une école d’agronomie comme ingénieur, elle découvre la saveur et la richesse de cette science qui analyse les données et en corrige les biais afin d’en extraire de précieuses informations. Trois ans plus tard, elle décroche un doctorat récompensé par un prix de la Société française de statistique.
« Cette distinction m’a ouvert les portes de la prestigieuse université américaine de Stanford, en tant que chercheuse invitée, raconte l’intéressée. En cinq ans, j’ai pu y faire plusieurs séjours, représentant au total 18 mois de présence. J’ai suivi les cours de grands scientifiques et mené mes travaux dans un fabuleux climat de stimulation intellectuelle. J’ai gardé des liens là-bas et j’y envoie certains de mes étudiants en postdoc. »
Un premier sujet de recherche en santé lui est proposé en 2016 : le groupe Traumabase, un réseau de cliniciens-chercheurs impliqués dans la prise en charge des patients traumatisés sévères, sollicite son aide. « Les erreurs d’orientation étaient trop fréquentes lors de l’admission aux urgences de ces patients, explique Julie Josse. Car les données sur l’état de santé collectées sous haut stress par les ambulanciers étaient incomplètes, parfois fausses, fournies sur papier et réexploitées à l’hôpital par de multiples acteurs. » Or, pour un polytraumatisé, chaque minute compte : ses chances de récupération, son autonomie, voire sa vie, en dépendent.
Un ambitieux projet de recherche, TrauMatrix, est alors lancé. Copiloté par Julie Josse, son équipe et un groupe de cliniciens du groupe Traumabase, il est toujours en cours en 2024 et rentre en phase d’essai clinique. Pendant six mois, dans 16 centres de régulation médicale SAMU à travers la France couvrant 22 millions d’habitants, la moitié des ambulances vont tester une application smartphone de saisie des données patients polytraumatisés. Elle sera reliée à un outil basé sur du machine learning.
« Tout le monde partagera les mêmes données. De plus, l’outil prédira en temps réel les besoins du patient, par exemple : traitement d’une hémorragie, nécessité d’une neurochirurgie, ou admission en réanimation. Ces résultats seront assortis d’un coefficient de confiance ; l’outil quantifie l’incertitude. »
Un projet comme Traumatrix illustre à merveille la puissance des statistiques et du machine learning pour la santé : ils fournissent des conclusions essentielles pour les patients et les soignants, même quand les données sont incomplètes, hétérogènes ou surabondantes... Voilà pourquoi Julie Josse, devenue une référence sur ces sujets, est autant sollicitée.
En 2020, tout juste recrutée chez Inria, Julie Josse est contactée par un réanimateur hospitalier : l’épidémie de Covid explose, les lits de soins intensifs sont saturés et les médecins ne savent plus où orienter les patients. En cinq jours, à la tête d’une équipe improvisée Inria – École Polytechnique, elle développe un outil très précieux : les services de réanimation y saisissent en continu les entrées et sorties de malades ; les statistiques permettent alors de prédire les disponibilités à quelques jours. Il sera déployé dans 40 départements. « Pour faire aussi vite, nous n’avons pas beaucoup dormi, sourit-elle. Et Inria nous a apporté des moyens et des compétences incroyables. J’arrivais à peine et j’ai été très impressionnée. »
Deux ans plus tard, elle crée l’équipe de recherche Premedical, commune à Inria et à l’Inserm, qui compte à ce jour 22 personnes. L’Inserm lui donne accès à la communauté des cliniciens, en particulier dans les CHU : « un ancrage indispensable pour travailler sur nos sujets. »
Julie Josse travaille aujourd’hui sur de nombreux sujets. Elle aide une startup à optimiser la dose d’hormones injectée lors d’une FIV (fécondation in vitro), et une autre à ajuster pour chaque patient les traitements de certaines maladies neurodégénératives. « En cherchant dans les deux cas à réduire les effets secondaires. » Elle dépose des projets pour explorer le lien entre pathologies respiratoires – asthme notamment – et facteurs sociaux et environnementaux.
Enfin, depuis 2019, elle étudie comment les statistiques et le machine learning peuvent rendre les essais cliniques plus fiables et plus représentatifs de la population globale, ce qui permettrait d’en diminuer la quantité et le coût. « Je veux que mes travaux servent au plus grand nombre et soient assez génériques pour répondre à de multiples problématiques », souligne-t-elle avec conviction. Bref, une recherche d’utilité publique.
2004 : licence en mathématiques appliquées aux sciences sociales à l’université de Brest
2006 : master en statistiques appliquées à l’université de Rennes
2007 : ingénieure statistique à Agrocampus (Rennes)
2010 : doctorat en statistiques à Agrocampus et prix de la meilleure thèse de la Société française de statistique
2011 - 2015 : professeure associée au département Statistique d’Agrocampus
2016 : HDR en statistiques de l’université d’Orsay
2016 – 2020 : professeure à l’École Polytechnique
2020 : rejoint Inria comme directrice de recherche
2022 : création de l’équipe Inria-Inserm Premedical, dont elle devient la responsable.
Pour les experts