Tout commence par une conversation. Un échange entre Yoann Launey, anesthésiste au CHU de Rennes, et Anatole Lécuyer, responsable d’Hybrid*, une équipe de recherche Inria spécialisée dans la réalité virtuelle. Constat : près de la moitié des patients en unités de soins intensifs souffrent de neuromyopathie acquise en réanimation (NMAR). Due à une immobilisation prolongée et aux traitements, ce trouble neuromusculaire retarde le retour à la marche et donc aussi la sortie de l’hôpital. Au fil de la discussion, une idée surgit : pourquoi ne pas proposer au patient alité un environnement virtuel où il verrait son avatar en train de marcher ? Le sentiment immersif pourrait donner l’impression d’agir sur son corps, stimuler le système neuro-musculaire et favoriser ainsi une récupération plus précoce.
Une hypothèse intéressante. Mais pas facile à corroborer. Car elle demande des protocoles expérimentaux compliqués. L’idée reste dans les cartons. Et puis arrive le Covid. Des milliers de malades placés sous respiration mécanique en coma artificiel. Des milliers ensuite dans les services de réanimation. Saturation des hôpitaux. Urgence sanitaire.
Verbatim
Là, on s’est dit : il faut y aller ! Un groupe de 18 personnes s’est mobilisé pour élaborer un protocole et concevoir une application de A à Z grâce à tout le savoir-faire accumulé dans l’équipe depuis des années. Confiné chez soi, chacun développait son bout de code. Deux mois plus tard, l’application fonctionnait. Le déploiement commençait au CHU. Les essais cliniques aussi.
Chercheur Inria et responsable de l'équipe-projet Hybrid
Appelé Verare, ce projet constituait l’une des actions de la mission Covid lancée par Inria au niveau national pour développer une série d’outils numériques destinés à faire face à la pandémie.
Deux critères pour l’inclusion
Le protocole inclut environ 50 patients. “Il fallait que le groupe soit le plus homogène possible pour avoir des conditions de récupération comparables, indique Mélanie Cogné, médecin au CHU en médecine physique et de réadaptation, et par ailleurs membre de l’équipe Hybrid. Nous avons retenu deux critères. Tous les patients présentent une faiblesse importante car ils sont restés souvent plusieurs semaines, voire plusieurs mois, en unité de soins intensifs. Et il faut aussi que cette faiblesse soit consécutive à une infection sévère ayant été responsable de l’admission en réanimation.”
En pratique, l’outil se compose d’un visiocasque et d’un ordinateur sur un chariot.
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C’est très facile à utiliser. Les séances ont lieu pendant 9 jours à raison de 10 minutes à chaque fois. Quand la séance commence, les patients se voient incarnés dans un avatar assis dans une chambre d’hôpital qui ressemble à la leur. Ensuite, ils se voient dehors en train de marcher à travers une belle forêt ou sur une plage. Cette marche dure 9 minutes. À la fin, ils s’assoient sur une chaise virtuelle pendant une minute pour pratiquer de la relaxation. Le but est de faire une transition, de ne pas sortir brutalement de l’environnement virtuel. Au début, nous n’étions pas certains que cette activité n’allait pas importuner les patients étant donné leur état de grande fatigue. Mais cela n’a pas l’air d’être le cas. Ils apprécient plutôt ces séances.
Médecin au CHU en médecine physique et de réadaptation, membre de l’équipe-projet Hybrid
Éviter les biais expérimentaux
Pour évaluer le bénéfice de cette stimulation, il faut pouvoir comparer la récupération des patients effectuant les séances à d’autres malades qui, eux, ne sont pas placés en situation d’observer la marche de leur avatar. C’est ce que l’on appelle communément une condition de contrôle. Mais un problème surgit : “le simple fait de porter un visiocasque, de participer à une activité ou bien encore d’avoir l’attention du personnel soignant pourrait, en lui même, avoir un effet bénéfique. Et donc introduire un biais… Il faut parvenir à s’assurer que c’est bien l’observation du mouvement qui va provoquer l’amélioration et pas autre chose. Pour cette raison, nous proposons aussi une séance de réalité virtuelle aux patients du groupe de contrôle. Équipés du visiocasque, ils vont, pour leur part, effectuer 10 minutes de relaxation sur la chaise virtuelle.”
En parallèle de cette recherche clinique qui, par définition, est très longue, une deuxième série de travaux progresse beaucoup plus vite. “Dans notre laboratoire, chez Inria, nous testons les prochaines évolutions technologiques de ce système, indique Anatole Lécuyer. L’idée est de récupérer de plus en plus de données sur le patient, notamment le mouvement des jambes, mais aussi de compléter l’équipement avec des fonctions tactiles.” Les participants à ces expériences ne sont pas des patients en réanimation, mais des volontaires recrutés dans le laboratoire. Ces travaux ont fait l’objet de trois publications coup sur coup dans IEEE Transactions on Visualization and Computer Graphics, la revue scientifique majeure en matière de réalité virtuelle.
Deux critères pour l’inclusion
“Le premier article* porte sur l’influence de la posture durant l’observation de la marche. Est-ce que le fait que le patient soit allongé, semi-assis ou debout va changer la sensation de marche ? En l’occurrence, l’étude montre que la sensation est plus forte quand on est debout ou assis que quand on est allongé. Nous avons aussi testé différents exercices de mouvement. Est-ce que le fait de voir son avatar marcher, courir ou bien sauter par dessus des obstacles change quelque chose ? Les résultats suggèrent que la sensation de marche est suscitée dans tous les cas !”
Dans la seconde publication*, les scientifiques ont étudié “comment un retour vibro-tactile sous les pieds peut augmenter cette sensation de marche. Nous avons conçu puis testé un dispositif innovant de vibrations. Et effectivement, ce retour tactile accentue la sensation. C’est un résultat de recherche très prometteur.”
Le troisième article* introduit des retours physiologiques pour augmenter, cette fois-ci, la sensation d’effort. “Nous avons inventé un système très original de ceinture abdominale qui comprime le corps et donne l’impression de respirer plus vite. Nous ajoutons aussi le son de la respiration et même l’image de la vapeur expirée quand on commence à faire un effort. Cela augmente fortement la sensation d’effort et de marche pour un faible coût.”
Pendant ce temps-là, le projet continue de croître. “Nous avions commencé avec un postdoc et un stagiaire. Puis nous avons lancé une thèse avec un étudiant venu de l’informatique. Nous nous apprêtons maintenant à démarrer une deuxième thèse avec une médecin dont la thèse de médecine portait sur Verare. Donc nous allons avoir un premier travail qui portera plutôt sur la technologique et un autre qui va transposer cela dans le contexte médical.”
Bilan de la séquence ? “Nous avons conçu intégralement et en temps record une application très ambitieuse. Nous l’avons déployée aussitôt à l’hôpital, amorcé un axe de recherche très original, publié trois articles majeurs et lancé deux thèses.”
Et quid des résultats cliniques ? “Pour des raisons éthiques, nous ne pouvons rien divulguer à ce stade car l’inclusion n’est pas terminée. Ensuite, l’analyse des données prendra un certain temps. Comme toujours en recherche clinique, il faut faire preuve de patience…”
En savoir plus sur Verare avec Anatole Lécuyer
Retrouvez le projet Verare à l'édition 2023 du Laval Virtual
Laval Virtual - du 12 au 14 avril 2023 - Espace Mayenne, 2 Rue Joséphine Baker , 53000 Laval
Sur le stand de Destination Rennes (Hall A, stand A86), Inria présentera les travaux de recherche de l’équipe-projet HYBRID qui s’intéresse à la création de nouvelles techniques d’interaction avec les environnements virtuels, en exploitant à la fois l’activité motrice de l’utilisateur (capture de mouvement) et son activité mentale (interfaces cerveau-ordinateur). Les applications de leur programme de recherche concernent le domaine industriel (prototypage virtuel), la médecine (simulateurs chirurgicaux, réhabilitation et rééducation), la conception (maquettes architecturales), l'art numérique, les applications 3D sur le Web, ou encore les jeux vidéo et le divertissement.