Renforcer les interactions sociales dans les univers virtuels
« Vous l’avez sans doute remarqué : quand vous parlez, vous émettez des vibrations, confie Anatole Lécuyer, responsable de l’équipe-projet Hybrid du centre Inria de l’Université de Rennes. Ces vibrations sont déjà utilisées pour améliorer la reconnaissance verbale par des personnes malentendantes. Nous avons décidé de les exploiter dans un contexte différent, celui du programme européen GuestXR, pour renforcer les interactions sociales dans les univers virtuels. Cela n’avait jamais été fait ! »
Des casques de réalité virtuelle avec un retour haptique
L’équipe d’Inria Rennes a en effet réalisé une "première" : elle a conçu une expérience de réalité virtuelle visant à étudier l’impact d’une vibration perçue par une personne lors d’échanges avec des avatars.
« Dans cette perspective, nous avons équipé des femmes et des hommes avec des casques de réalité virtuelle, pour les plonger dans le même espace immersif que les avatars, décrit Justine Saint-Aubert, postdoctorante au sein de l’équipe-projet Hybrid. Chacun d’entre eux tenait un vibreur capable de convertir le flux verbal des avatars en vibrations au creux de leur main. » Spécialisée en haptique pour la réalité virtuelle, la jeune chercheuse a imaginé ce dispositif à partir d’un petit vibreur de la startup Actronika, dont la fréquence et l’amplitude vont varier ici en fonction du signal sonore.
Ceux qui font vibrer les participants sont 15 % plus convaincants
Un premier exercice a été effectué avec ce dispositif, qui consistait à écouter deux agents conversationnels identiques : même voix synthétique, même discours insignifiant, afin d’être dans des conditions d’expérience uniformes. Le flot de parole du premier personnage virtuel ne suscitait pas de retour vibrotactile dans la main des participants, le second envoyait des vibrations variant au son de la voix.
Vingt testeurs et testeuses devaient ensuite répondre à des questionnaires, pour évaluer la confiance, la conviction, le leadership et la présence sociale des avatars, c’est-à-dire la sensation qu’ils sont bien présents dans la pièce à leur côté.
Verbatim
Les résultats nous ont réellement étonnés, s’enthousiasme Anatole Lécuyer. Nous ne nous attendions pas à des réponses aussi tranchées. Les participants ont ressenti 15 % de confiance en plus pour l’avatar dont le discours était accompagné de vibrations et 23 % de leadership en plus !
Directeur de recherche Inria
La confiance en soi vient en vibrant
Et ce n’est pas tout. Vingt autres participants ont été soumis à une variante du premier exercice. Ils devaient lire un texte neutre alternativement aux deux agents virtuels, tandis qu’ils percevaient un retour vibrotactile quand ils parlaient au premier personnage, mais pas lorsqu’ils s’adressaient au second. Là encore, les participants avaient la consigne de répondre à un questionnaire, quasiment le même que dans l’exercice précédent.
« Nouvelle surprise, se réjouit Justine Saint-Aubert, puisque les résultats ont été encore plus marquants. Lorsqu’ils lisaient le texte en ressentant des vibrations, les participants ont eu le sentiment d’être 28 % plus convaincants, comme si les vibrations stimulaient leur confiance en eux ! » Ces résultats très prometteurs, décrits dans une communication scientifique, ouvrent la voie à de nouvelles recherches et à de nouveaux usages, que les chercheurs présentent pour la première fois en public à la conférence IEEE VR à Shanghai, à la fin du mois de mars 2023.
Vers plus de bienveillance entre les personnes dans le métavers
Quand Justine Saint-Aubert a eu l’idée de ce dispositif "speech-to-touch", l’équipe avait l’objectif d’encourager celles et ceux qui tendent à se mettre en retrait afin qu’ils s’expriment plus facilement lors d’une réunion (virtuelle ou physique, professionnelle ou personnelle) et qu’ils gagnent en confiance et en force de persuasion. Cela, en synchronisant une vibration avec leur prise de parole. « Nous insistons pour que nos recherches ne soient pas utilisées à mauvais escient, par exemple, pour renforcer encore un discours déjà autoritaire, ou à l’inverse pour stigmatiser certaines expressions de points de vue », prévient Anatole Lécuyer.
Pour cette raison, il conviendra sans doute de développer des technologies pour être en mesure d’activer ou désactiver les vibreurs à la demande. L’objectif : clarifier encore les résultats de l’équipe, en testant la sensibilité de chacun à ces vibrations, ou en mesurant l’impact de diverses tonalités de voix. « Le champ des recherches à explorer est immense, à partir de cet effet des vibrations sur la persuasion qui vient d’être démontré. Ce n’est qu’un début et c’est vertigineux ! », conclut Anatole Lécuyer.
GuestXR : encourager les comportements positifs dans les métavers
Les recherches réalisées par l’équipe-projet Hybrid entrent dans le cadre d’une vaste étude financée par la Commission européenne, GuestXR, destinée à réduire le cyberharcèlement et autres agressions, mais aussi à encourager les comportements sociaux positifs dans les métavers. La finalité ? Développer un espace social immersif en ligne par l’intermédiaire de la réalité virtuelle. Il s’agit aussi de créer un agent d’apprentissage automatique, baptisé "The Guest", doté d’une intelligence artificielle pour analyser les comportements des participants, individuels et interpersonnels, pour résoudre les conflits et faciliter les interactions.
« Nous avons grand intérêt à contribuer à ces projets européens, qui amènent à collaborer étroitement avec d’autres laboratoires internationaux, affirme Anatole Lécuyer. Dans le cadre de GuestXR, nous nous sommes rapprochés d’une équipe israélienne IDCH de l’université Reichman et avons confronté nos travaux sur l’assistance aux personnes malentendantes de leur côté et sur l’haptique du nôtre. Sans cela, peut-être ne nous serions-nous pas engagés dans la voie de nos recherches alliant vibration et prise de parole. Quoi qu’il en soit, cela a abouti à une belle collaboration et à une publication commune très prometteuse. »
Le programme GuestXR, coordonné par le centre technologique Eurecat et l’université de Barcelone, réunit quatre universités, deux entreprises et deux centres de recherche : Eurecat (Espagne), g.tec (Autriche), IDCH (Israël), Inria (France), université de Barcelone (Espagne), université de Maastricht (Pays-Bas), université Reichman (Israël) et Virtual Body Works (Espagne).
En savoir plus
- Réalité virtuelle : des vibrations qui dopent la confiance en soi - Sciences et Avenir, 23/02/2023
- Quand les objets virtuels deviennent palpables par Anatole Lécuyer et Justine Saint-Aubert, Blog Binaire du Monde, 20/1/2023