Si Fabrizio De Vico Fallani a obtenu cette bourse européenne ERC Consolidating Grant sur les interfaces cerveau-machine ou BCI, c’est qu’il aborde le sujet avec une approche radicalement nouvelle. Ce chercheur Inria spécialisé en bio-ingénierie et en biophysique a fait ses armes au sein de l’équipe projet Aramis, qui collabore en permanence avec des neuroscientifiques et des médecins. Il a déjà été récompensé en 2018 par le prix de la société Complex Systems, qui distinguait notamment ses travaux interdisciplinaires sur la modélisation du cerveau. Avec les fonds attribués par l’Europe, il va passer à la vitesse supérieure et recruter neuf personnes sur cinq ans.
Au plus près des malades
L’équipe projet Aramis dont fait partie Fabrizio De Vico Fallani est commune avec le CNRS, l’Inserm et l’université Pierre et Marie Curie.
Elle est hébergée par l’IC (Institut du Cerveau et de la Moelle épinière), un organisme de recherche en neurosciences au modèle innovant.
Situé à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, premier établissement de neurologie en France, il réunit dans un même lieu 700 chercheurs et médecins, au plus près des malades.
Capter la "signature corticale" du geste imaginé par le patient
Pour comprendre le sens des recherches sur les BCI, technologies qui associent de l’électronique et de l’informatique, il faut rappeler ce phénomène bien connu des spécialistes en neurosciences : notre cerveau est capable de générer les mêmes signaux électriques, la même "signature corticale", quand nous imaginons un mouvement (saisir un verre, avancer d’un pas…) et quand nous l’exécutons réellement.
Un patient paralysé d’une main après un AVC continue donc à "penser" les mouvements de cette main comme avant son accident. Et l’enjeu des BCI est de capter cette signature corticale et de l’interpréter correctement afin d’actionner un dispositif externe qui aidera le patient à effectuer son geste.
40 % d’échecs, un taux trop élevé
Les perspectives sont majeures, pour l’assistance à la vie quotidienne et plus encore, pour la rééducation. En effet, l’entraînement régulier à ces mouvements pilotés par une BCI favoriserait la neuroplasticité, c’est-à-dire la réorganisation de circuits neuronaux qui doivent se substituer aux régions endommagées par l’AVC, afin de rétablir la communication avec les muscles. Au terme d’une rééducation "idéale", le patient recouvrerait ses facultés.
Mais le conditionnel reste de mise et les BCI ne sortiront pas de sitôt des laboratoires. Car partout dans le monde, elles peinent à interpréter les signaux cérébraux qu’elles enregistrent. D’après les expérimentations, menées pour l’instant par des sujets sains, 40 % d’entre eux n’arrivent pas à obtenir le geste imaginé au moins 7 fois sur 10. Impossible d’imaginer un déploiement auprès de centaines de milliers de personnes (voir encadré). La BCI doit mieux comprendre l’intention du patient.
Des séquelles neurologiques pour 50 % des victimes d’AVC
Les travaux de Fabrizio De Vico Fallani répondent à un problème de santé publique aigu et en voie d’aggravation. 140 000 personnes sont victimes chaque année d’un AVC en France. 20 % meurent dans les douze mois qui suivent, près de 50 % gardent des séquelles neurologiques : perte d’autonomie, handicap, déficits moteurs, troubles du langage, troubles sensitifs ou visuels… Les patients âgés ne sont pas les seuls concernés : un quart des AVC touche les moins de 65 ans. Et parmi les victimes de moins de 45 ans, 30 % doivent abandonner toute activité professionnelle et 10 % restent dépendants.
Malgré les politiques de prévention des États, ces chiffres devraient empirer ces prochaines années avec le vieillissement de la population, synonyme d’accroissement du nombre et de la gravité des AVC.
(Sources : Le Point, Fondation Recherche AVC)
Modéliser le cerveau comme un réseau complexe
Les dix dernières années n’ont guère permis de les améliorer car le problème était mal posé, estime Fabrizio De Vico Fallani. On a considéré le cerveau comme une juxtaposition de régions qui émettent des signaux simples et indépendants.
Or, il existe de multiples interactions entre les régions du cerveau. De plus, elles échangent sur plusieurs bandes de fréquence. Pour restituer ce fonctionnement et comprendre l’intention du patient, il faut détecter et interpréter beaucoup plus de signaux.
Mais quels signaux, justement ? Pour le savoir, le chercheur va recourir à des outils mathématiques couramment employés par l’équipe Aramis. Avec la science des réseaux notamment, il compte étudier le cerveau en tant que réseau très complexe, avec ses nœuds (les différentes régions) et ses connexions (les interactions entre régions).
On peut ainsi en décortiquer le fonctionnement : comment les connexions se distribuent-elles dans le réseau ? quels sont les nœuds les plus importants ? par combien de nœuds peut passer une communication et sur quelle distance ? existe-t-il des "motifs", c’est-à-dire des sous-ensembles de nœuds, dont l’organisation se répète ? « Plus nous progresserons dans la compréhension de ces mécanismes de connectivité, mieux nous cernerons les signaux cérébraux pertinents pour les BCI. »
Éviter le coût et le traumatisme de l’opération chirurgicale
Difficulté supplémentaire : ce réseau complexe est aussi changeant. Son organisation varie d’un sujet à l’autre, et chez un même sujet selon qu’il est au repos ou qu’il imagine un mouvement. Elle varie aussi avec la nature de ce mouvement. Elle varie encore en raison de la neuroplasticité évoquée plus haut, puisqu’une nouvelle communication cerveau – muscles se met en place.
Les futures BCI devront donc cumuler précision et capacité d’adaptation. D’autant que Fabrizio De Vico Fallani utilise des capteurs non invasifs, plaqués sur le crâne par un casque et non implantés dans le cortex cérébral.
Nous perdons en qualité des signaux mais nous évitons le coût prohibitif d’une opération chirurgicale qui de plus, effraie beaucoup de patients.
Sur sa feuille de route, le chercheur a notamment pointé un objectif : rendre la stimulation intracrânienne plus performante. Cette technique non invasive, aujourd’hui testée en laboratoire, consiste à envoyer des ondes magnétiques sur certaines zones du cerveau pour favoriser la neuroplasticité. Mais elle reste empirique : c’est par essai - erreur qu’on détermine le bon protocole de stimulation.
J’espère réussir à identifier chez chaque patient les régions du cerveau qui influencent le plus les autres. La stimulation intracrânienne pourra alors être ciblée sur ces régions et rendre les séances d’entrainement BCI plus efficaces.
Ce projet est financé par l’European Research Council (ERC) dans le cadre du programme Horizon 2020.
Plus d'infos
- Équipe projet commune Aramis (CNRS, Inserm, UPMC, Inria)
- ERC Consolidator Grants