Des recherches en modélisation inspirées de la nature
Dans l'imaginaire collectif, un robot d'usine est un bras articulé, rigide, qui déplace des objets avec une raideur bien inhumaine. Une vision toujours vraie aujourd’hui, mais d'autres pistes se développent en parallèle en recherche et développement. De nouveaux travaux de robotique privilégient ainsi des matériaux plus souples, mieux adaptés pour des transports d’objets délicats ou des espaces étroits. C'est justement le domaine d’activité de Compliance Robotics, une startup issue de l’équipe-projet Defrost d'Inria (commune avec le laboratoire CRIStAL, Université de Lille et Centrale Lille).
Verbatim
Notre entreprise est née d’un projet de recherche qui a évolué vers des applications concrètes. Notre idée était de transformer la manière dont on conçoit les robots, notamment dans le domaine de l'industrie.
Fondateur de Compliance Robotics et directeur de recherche Inria
L'objectif de l’équipe : ne pas compter uniquement sur ces robots dont l'essentiel des mouvements passe par des articulations, et davantage s'inspirer de ce qui se trouve dans la nature, comme les invertébrés qui peuvent se déplacer sans toute cette ossature rigide. Ici, les engins sont construits à base de polymères, de silicone, de plastique, parfois avec des instruments fabriqués par imprimante 3D. Avec pour finalité d'obtenir des matériaux pouvant se déformer, faire preuve d'élasticité, et résister sur le long terme.
Un accompagnement par Inria Startup Studio
"Nous avons voulu nous inspirer de ce qui se fait parfois en médecine, détaille Christian Duriez. En recherche, la principale application visée par ces manipulateurs souples est la chirurgie pour pouvoir naviguer en sécurité dans l’anatomie. Mais nous pensons que cette technologie peut aussi intéresser la robotique industrielle."
Avant sa création officielle en février 2024, Compliance Robotics a été accompagnée d'abord par le dispositif Start-Airr pendant un an et demi, puis par Inria Startup Studio sur un an ; une première étape essentielle de recherches en modélisation pour déterminer les besoins de ces potentiels robots souples. Pourront-ils correspondre aux normes attendues par l'industrie ? Quels types de matériaux ou de capteurs devront-ils posséder ? Et puis surtout, sauront-ils vraiment se montrer utiles ?
Pendant cette phase, l’équipe a aussi bénéficié du soutien de la région Hauts-de-France et de Bpifrance. Et le 19 septembre dernier, elle a vu ses efforts récompensés : la jeune startup a reçu un Grand prix au concours d’innovation i-Lab (organisé par l’État et opéré pour son compte par Bpifrance), assorti d’une enveloppe de 500 000 euros. Suffisamment pour financer environ 60% de la R&D à venir. Autant d'arguments pour crédibiliser le projet et permettre, à l'avenir, de nouvelles levées de fonds plus ambitieuses.
Un premier prototype à visée éducative
En attendant, Compliance Robotics a déjà mis au point un premier prototype nommé Emio. Sa structure parallèle avec quatre tiges flexibles est imprimée en 3D, et l’on peut venir placer un préhenseur souple à leur extrémité.
Ce premier robot a un but essentiellement éducatif. Ainsi, le prototype est utilisé dans les écoles d'ingénieurs afin de former les étudiantes et étudiants dans ce domaine.
Verbatim
C'est une structure assez ludique. On peut changer l'architecture selon les besoins, imprimer de nouvelles tiges en 3D, et le manipuler de différentes manières. Cela rend les cours plus sympathiques !
De plus, ces expériences pédagogiques sont filmées avec un système de caméras 3D afin d’améliorer ensuite le prototype.
Vers des applications industrielles dans l’agroalimentaire
En parallèle, l'équipe élabore d'autres modèles avec pour cible l'industrie agroalimentaire. Le robot dénommé Hollow est ainsi doté d'un système de convoyage dans lequel des objets peuvent circuler à travers un tube souple. Le but : déplacer à une cadence rapide des objets fragiles comme, par exemple des fruits et des légumes. Ces produits délicats peuvent ainsi être transportés sans risquer d'être abîmés dans le processus.
"À l'échelle industrielle, pour que les robots aillent plus vite, il faut que leurs mouvements soient plus rapides, ce qui est risqué pour les articles les plus fragiles, souligne Christian Duriez. Ici, Hollow peut déplacer des fruits ou des légumes d'un point A à un point B sans mouvement apparent, du moins vu de l’extérieur. Ces produits rentrent d’un côté du tube et ressortent de l’autre, ce qui s’avère plus rapide et plus sûr."
De plus, cette structure creuse se révèle particulièrement pratique pour véhiculer des matériaux comme de la colle ou de la peinture, qui pourraient passer directement dans le tube sans avoir à le percer depuis l'extérieur.
Des allers-retours entre la science et l’industrie
L'ambition de Compliance Robotics ? Vendre ce robot à des groupes industriels dans un avenir proche. Toutefois, le modèle actuel n'est pas encore suffisamment mature. Christian Duriez espère une première mise sur le marché à partir de 2027. Pour cela, la startup peut aussi compter sur le soutien d'Inria.
Verbatim
Nous avons toujours un pied dans le laboratoire de recherche d'Inria. Et nous sommes en train de confronter nos travaux théoriques avec ces applications concrètes. Les robots s’avèrent de plus en plus complexes et les simulations montrent parfois leurs limites. Les allers-retours entre les mondes scientifique et industriel sont donc très utiles.
Ainsi, les travaux applicatifs sur les robots procurent des données aux chercheurs et chercheuses, qui peuvent ainsi améliorer leurs modèles, lesquels aident en retour à perfectionner certains aspects des robots.
À l’horizon, des robots plus durables
Parmi les axes prioritaires de recherche figurent les modes de contrôle de ces robots, afin de s’assurer qu’ils ne puissent pas devenir dangereux. Car leur souplesse s’accompagne d'une plus grande complexité. Il faut pouvoir non seulement prévoir comment ils vont se déplacer, mais aussi anticiper comme ils vont se déformer sous certaines contraintes, ce qui nécessite des recherches algorithmiques poussées. Compliance Robotics mène ces travaux à travers le consortium SOFA, une plate-forme logicielle en open source destinée aux simulations (hébergée par la Fondation Inria).
Dernière priorité, et non des moindres : la durabilité. La startup cherche ainsi à produire de futurs robots Emio et Hollow moins énergivores. Puis, comme le propose Quentin Peyron, chercheur Inria dans l’équipe Defrost, il s'agira de privilégier des matériaux moins transformés ou plus durables, comme de l'osier ou du bambou, afin d’assurer un bel avenir à ces robots souples.