Robotique

Serena Ivaldi : « Nous voulons faire des robots capables de mieux aider les humains »

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Mis à jour le 29/10/2024
Comment a évolué le domaine de la robotique ces dernières années ? Quels sont aujourd’hui les grands enjeux de la robotique humanoïde ? Et quel rôle pour les scientifiques européens dans ce secteur en pleine expansion ? Discussion avec Serena Ivaldi, directrice de recherche au Centre Inria de l’Université de Lorraine dont les travaux sont aujourd’hui reconnus par la communauté internationale des roboticiens.
Photo © Emile Loraux - ISIR

Pouvez-vous revenir en quelques lignes sur votre parcours ?

J’ai fait une partie de mes études en Italie, où j’ai obtenu un master en automatique et robotique à l’université de Gênes (Genova) et un doctorat en robotique humanoïde de l’Institut italien de technologie, dans l’équipe qui a conçu le robot humanoïde iCub et que j’ai vu grandir au fur et à mesure en travaillant au départ sur la tête, puis le bras, puis sur le contrôle optimal du bras, de la dynamique corps complet, etc. 

J’ai rejoint ensuite Paris, en 2011, en postdoctorat à l’Université Pierre et Marie Curie (maintenant Sorbonne Université) afin de travailler sur l’apprentissage et l’interaction humain-robot. J’ai notamment travaillé sur la prise en compte des aspects humains dans les interactions physiques et sociales. Je suis ensuite partie en Allemagne à l’Université Technique de Darmstadt (TU Darmstadt), dans le cadre d’un second postdoctorat sur le machine learning appliqué à la robotique. 

J’ai enfin été recrutée comme chargée de recherche Inria au sein du Loria en 2014,  où j’ai contribué à créer l'équipe de recherche LARSEN. J’y suis aujourd’hui directrice de recherche et je suis en train de monter une nouvelle équipe-projet : HUCEBOT, pour human-centered robotics. 

Quels sont vos projets actuels ?

Dans HUCEBOT nous voulions développer des algorithmes d’apprentissage, de contrôle et d’interaction pour des robots qui aident les humains

Nous visons deux typologies d’assistance : l’assistance aux gestes, avec des exosquelettes ou des robot collaboratifs, au travers notamment d’une collaboration avec les pompiers de Nancy et l’Hôpital de Nancy, et la téléopération. Pour cette dernière, l’idée est de développer des robots capables d’agir à distance efficacement, en quasi autonomie, en prenant en compte leur environnement et les intentions des opérateurs. 

L’objectif long terme derrière la création de cette équipe-projet, c’est de faire des robots qui savent interagir de la bonne manière, et ainsi mieux répondre aux besoins des humains, notamment dans le domaine de la santé, et pourquoi pas un jour pour des robots déployés sur la Lune.

Sur quoi repose le développement de tels robots ?

Nos recherches portent principalement sur l’apprentissage machine, l’optimisation multi objectifs et stochastique, ou encore la commande temps réel. Mais nos modèles sont nourris d’informations sur l’humain, au niveau biomécanique mais pas uniquement.

Nous injectons des techniques d’apprentissage automatique pour améliorer les commandes du robot. Sur l’exécution du geste, nous utilisons des modèles génératifs, basés sur les mouvements des humains principalement. L’idée étant de permettre au robot de faire les mouvements de la meilleure des manières.

Nous voulons également que les robots soient efficaces du point de vue énergétique, qu’ils ne consomment pas trop, mais aussi et surtout qu’ils ne tombent pas ou qu’ils ne fassent pas mal à l’humain lors d’une interaction. Pour cela nous faisons de l’optimisation paramétrique et de l’adaptation. 

Nous avons, enfin, commencé à utiliser des modèles génératifs type LMM et VLM, afin de pouvoir donner les commandes au robot en langage naturel, en parlant. C’est une brique importante pour nous, qui amènera de grands changements. 

Quelles ont été, selon vous, les grandes évolutions dans le domaine de la robotique ces dernières années ?

Du côté mécatronique, il y a eu de grandes avancées sur les robots humanoïdes. Avant, les robots humanoïdes étaient développés sur la base de la mécatronique des robots industriels. Cela donnait des robots avec une mécanique compliquée, avec une partie moteur compliquée, et surtout très chers et fragiles. L’explosion dans le domaine des moteurs direct-drive (un type de moteur électrique synchrone à aimant permanent qui entraîne directement la charge) a permis d’équiper tous les robots quadrupèdes de façon abordable. Toutes les technologies qui ont permis de développer des robots quadrupèdes sont aujourd’hui récupérées pour les nouvelles plates-formes humanoïdes. 

Et tout ce qui a été fait ces dernières années dans le domaine nous permet de faire désormais avancer le développement d’exosquelettes.

Comment la recherche repousse les limites de la robotique

Quelle est la position de l’Europe dans le domaine de la robotique humanoïde ?

Le marché du robot humanoïde est aujourd’hui essentiellement porté par la Chine et les États-Unis. La recherche européenne a de bonnes idées mais pour être compétitifs il faudrait de gros investissements comparables à ceux de la Chine et des États-Unis. Nous n’avons, en Europe, pas les moyens de produire de robots de leur même manière, mais notre force réside dans la partie logicielle et les techniques mathématiques

Dans les robots, ce qui est risqué, c’est d’avoir des méthodes qui ne sont utilisables que sur un seul robot. Nous travaillons ainsi sur des logiciels et des méthodes de manière à avoir des logiciels qui soient utilisables par le plus grand nombre de robots, et qui permettent ainsi d’être durables dans le temps. 

Quels sont les grands défis de la robotique humanoïde, pour les années à venir ?

Du point de vue mécatronique, le grand défi va être de faire des robots robustes qui puissent « sortir des laboratoires » : si les robot quadrupèdes à pattes sont maintenant utilisés et commercialisés, c’est grâce à plusieurs années de tests de robustesses qui font qu’ils peuvent être utilisés de manière fiable dans des conditions réelles. Les humanoïdes ne sont pas encore à ce stade. Savoir marcher et bouger « dans la vrai vie » pour des longues périodes sous batterie est encore un défi. 

Ensuite, un autre grand défi pour les années à venir est de fermer la boucle sur l’interaction vocale, c’est-à-dire l’exécution par le robot d’une commande vocale donnée par l’humain en langage naturel. Demander à un robot de savoir interagir vocalement avec la personne est extrêmement compliqué. Il faut en effet que les plans que les robots extraient de la demande humaine se traduisent en quelque chose de concret et « mathématique » pour lui. Cela demande beaucoup de niveau d’abstraction dans le raisonnement du robot, qui doit être capable de savoir ce qui est faisable ou non. Et même quand c’est faisable, arriver à le faire. On doit arriver au point que le robot agisse comme une personne : qu’il comprenne une consigne nouvelle dans son contexte, qu’il sache trouver un plan d’action de manière parfois créative et savoir l’exécuter de manière autonome, et savoir demander de l’aide quand il n’a pas compris. Une fois que nous arriverons à ce niveau d’intelligence incarnée, les champs d’application exploseront.