Protéger et dépister : comment le numérique agit-il sur la prévention ?
En favorisant l’accès aux nouvelles données scientifiques, multidimensionnelles et complexes et la formalisation des processus, les chercheurs en numérique soutiennent la médecine de prévention en participant aux côtés des professionnels de santé aux questionnements nécessaires pour consolider la base de connaissances en sciences médicales.
Numérique et immunologie
Suite à l’épidémie Ébola de 2014 en Afrique de l’Ouest déclarée urgence internationale par l'OMS, l’équipe Sistm commune à l’Inserm, l’université de Bordeaux et Inria, se mobilise pour l’élaboration d’un vaccin européen anti-Ebola depuis 2015. Elle intervient sur plusieurs problématiques : la tolérance, l’efficacité du vaccin et l’optimisation d’un calendrier d’injection. Voici ce qu’explique Rodolphe Thiébaut, responsable de l’équipe-projet Sistm : « Pour modéliser la dynamique de la réponse immunitaire au candidat-vaccin, nous utilisons des systèmes d’équations différentielles. Grâce aux données issues de la recherche clinique, nous pouvons prédire la réponse immunitaire au vaccin, sa qualité et sa durée dans une population donnée ».
Numérique et compréhension du microbiote intestinal
L’équipe-projet Pleiade, spécialisée en biologie numérique, s’intéresse notamment au fonctionnement des micro-organismes du microbiote intestinal par des approches d'apprentissage statistique ou de modélisation de réseaux métaboliques. Ces travaux permettent de développer de nouvelles hypothèses sur le rôle et l'assemblage des micro-organismes, les interactions entre eux notamment lors de perturbations de l'écosystème microbien. L'équipe travaille également à la conception de futurs outils numériques utiles aux industriels à terme pour le développement de biothérapies.
Verbatim
Le microbiote intestinal est un sujet fascinant. Nous cherchons à mieux comprendre la dynamique de l'infection par Salmonella Typhimurium avec des modèles numériques de bactéries et de l'hôte humain. Nous étudions aussi le rôle des micro-organismes dans la dégradation des fibres alimentaires et l'assemblage de centaines de populations bactériennes chez les humains à partir de données massives de séquençage ADN.
Chargée de recherche dans l'équipe-projet Pleiade
Numérique et bien-être mental
Inria participe, à travers l’implication de deux équipes-projets (Flowers et Potioc) à la création de l’Institut sur la santé vasculaire cérébrale de Bordeaux qui s’attache au « bien vieillir » vasculaire du cerveau. Leur objectif ? Développer de nouvelles méthodologies numériques pour décrypter les mécanismes des maladies neurologiques les plus courantes (AVC, démence) afin de définir des stratégies de prise en charge et de prévention. La conséquence la plus fréquente d’un accident vasculaire cérébral (AVC) reste l'hémiparésie [1] dont environ 80 % des patients souffrent de manière aiguë. Les interfaces cerveau-ordinateur (BCI) ont montré des résultats prometteurs mais irréguliers selon les individus. L’équipe Potioc tente d'individualiser le programme de rééducation motrice basé sur le BCI en fonction de chaque patient, notamment en personnalisant les modèles d'intelligence artificielle (IA) utilisés.
Verbatim
De nouvelles thérapeutiques numériques non pharmacologiques sont ainsi élaborées et testées, comme des interventions cognitives optimisées par machine learning pour personnaliser le processus selon les besoins de chaque personne.
Professeure de psychologie et de sciences cognitives de l'équipe-projet Flowers
Du diagnostic au traitement : aide à la décision et optimisation du parcours de soin
Car l’apport des sciences du numérique ne se limite pas à la compréhension générale d’une pathologie (dépister/protéger) mais accélère aussi le processus d’innovation en pratiques médicales et cliniques : deux approches indissociables et complémentaires.
Un jumeau numérique pour mieux soigner le cœur
Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mort dans le monde (OM 2020). On estime que la moitié de ces décès est liée à des arythmies cardiaques, comme la fibrillation ventriculaire. Pour les cardiologues, mieux comprendre ces dysfonctionnements et pouvoir localiser précisément où se situe le problème est donc primordial. C’est là qu’interviennent les sciences du numérique, notamment, grâce au « Jumeau numérique du cœur ». Cette "réplique numérique" mesure et collecte des données cardiovasculaires en les associant à d’autres données, par exemple d’imagerie médicale, et constitue un outil d’aide à la décision clinique. Un défi qui tient à cœur à l’équipe Carmen, partie prenante de l'IHU LIRYC : « En tant que scientifiques, on peut fournir soit des outils d’aide à la décision soit des éléments scientifiques qui vont aider à comprendre un système biologique complexe. On a donc besoin à la fois des données statistiques et de modèles au sens mécanistique (physique) pour couvrir ces deux approches », rappelle Yves Coudière, responsable de l’équipe-projet Carmen.
Le numérique pour développer des thérapies non invasives
L’équipe-projet Cagire s’intéresse à une meilleure compréhension de la physique impliquée dans les interactions entre les bulles et les biomatériaux, dans le but d'améliorer les traitements médicaux actuels. En termes d’application, cette équipe travaille notamment sur la lithotripsie [2], une procédure visant à traiter par des méthodes non chirurgicales les calculs rénaux trop volumineux pour être éliminés par les voies urinaires, évitant ainsi des interventions chirurgicales lourdes et douloureuses pour les patients. L’utilisation du numérique présente un avantage certain pour comprendre les mécanismes physiques prenant place lors de la fragmentation des calculs rénaux par ondes de choc ultrasonores, tels que la propagation des ondes et les phénomènes de cavitation, lesquels sont extrêmement difficiles à observer par l’expérience seule.
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Cela contribue donc à l’amélioration des technologies non invasives existantes, comme celles utilisant des ondes de choc, tout en évaluant les bénéfices potentiels que pourraient offrir de nouvelles technologies, dont celles faisant appel à des ultrasons focalisés à haute intensité.
Chercheur au sein de l’équipe-projet Cagire
Des outils numériques pour une personnalisation du traitement du cancer
L'équipe-projet Monc cherche à construire des outils numériques basés sur des équations aux dérivées partielles et des méthodes d'apprentissage pour mieux comprendre, suivre ou traiter certains cancers. « Pour les ablations tumorales par électroporation [3]la problématique est de fournir au médecin radiologue interventionnel la zone d’ablation calculée en fonction des données de la procédure et ce, dès le départ, pour un possible ajustement du traitement (repositionnement d’aiguilles, augmentation de l’amplitude…) » précise Clair Poignard, responsable de l’équipe Monc. Pour cela, les scientifiques utilisent des connaissances biologiques et médicales ainsi que des données numériques (en majorité issues de l'imagerie) pour personnaliser les modèles. Le but est d'être capable de fournir des outils numériques aux médecins ou aux biologistes afin de mieux comprendre, prédire voire contrôler la croissance tumorale et mieux évaluer la réponse de la maladie à un traitement dans un contexte clinique ou lors d’études précliniques.
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En parallèle, et bien qu’une partie de notre activité de recherche soit très appliquée « avec des patients sur la table opératoire », nous tenons à garder un continuum entre recherche théorique et appliquée. Les étroites collaborations avec les biologistes et les médecins sont aussi essentielles à notre recherche.
Responsable de l'équipe-projet Monc
Pour aller plus loin :
Désassemblons le numérique
[1] L'hémiparésie est un déficit de la force musculaire du membre supérieur controlatéral, dont souffrent les patients ayant subi un AVC pour plus de 80 % de manière aiguë et plus de 40 % de manière chronique.
[2] La lithotritie traite les calculs rénaux en envoyant de l'énergie ultrasonique focalisée ou des ondes de choc directement sur le calcul localisé par fluoroscopie (un "film" radiographique) ou par ultrasons (ondes sonores à haute fréquence). Les ondes de choc fragmentent alors le gros calcul pour une évacuation par voie urinaire.
[3] L’électroporation est une technique microbiologique qui consiste à appliquer un champ électrique sur les membranes cellulaires qui sont ainsi déstabilisées, ce qui augmente la perméabilité membranaire.