Énergie

Transition énergétique : optimiser le chargement des voitures électriques

Date:
Mis à jour le 20/12/2024
La France vise 33 % d’énergies renouvelables d’ici 2030, un objectif ambitieux qui implique de gérer la fluctuation de la production d’électricité à partir de sources comme le solaire et l’éolien. Dans ce contexte, le centre R&D d'EDF et l'équipe DISCO du Centre Inria de Saclay collaborent pour développer des solutions innovantes d'optimisation qui permettent d’adapter le chargement des voitures électriques aux besoins du réseau.
© Andreas160578 de Pixabay

 

La stratégie nationale de transition écologique prévoit de porter à 33 % la part des énergies renouvelables à l’horizon 2030. Dès 2028, la puissance installée devrait passer de 15 à 45 GW pour le photovoltaïque et de 24 à 35 GW pour l’éolien. Mais la production électrique des panneaux solaires et des éoliennes fluctue à chaque seconde en fonction de la météo, du Finistère à la Lozère et du Lubéron à la Moselle. 

En parallèle, les prévisions estiment qu’en 2028 les voitures électriques seront 4,8 millions sur les routes et les parkings de France, avec des bornes qui viendront par milliers les recharger.

Un défi de taille se pose pour l’opérateur EDF : comment gérer cette instabilité pour continuer d’acheminer l’électricité au bon endroit au bon moment, tout en évitant de longs transports sur le réseau ? C’est là qu’intervient la collaboration débutée en 2020 entre Disco, une équipe-projet du centre Inria de Saclay, commune à CentraleSupélec et au CNRS, et le département OSIRIS (Optimisation, Simulation, Risques et Statistiques pour les marchés de l'énergie) du centre R&D d’EDF à Palaiseau.

Vers plus de flexibilité énergétique : le smart charging

Pour parvenir à gérer cette instabilité, Inria et le centre R&D EDF s’intéressent à l’approche du "smart charging" (chargement intelligent). Le "smart charging" fait référence à l'utilisation d'algorithmes pour optimiser les moments et les durées de charge des appareils électriques, tout en prenant en compte des critères tels que les habitudes des utilisatrices et des utilisateurs, la disponibilité de l’énergie, et les coûts associés. Le concept permet de minimiser l'impact environnemental et économique tout en maintenant un service aux utilisateurs fluide.

Au lieu de commencer immédiatement la charge d’une voiture électrique dès que l’utilisateur le demande, il devient possible de décaler cette opération de quelques minutes, voire de quelques heures, à un moment où la demande énergétique est moins importante, réduisant ainsi la pression sur le réseau.

Cependant, pour qu’EDF puisse tirer pleinement parti de cette flexibilité, il est nécessaire de fournir des garanties et de respecter certaines contraintes, cela implique de résoudre des calculs mathématiques complexes.

Modéliser les décisions collectives

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Portrait Laurent Pfeiffer
Verbatim

D’un point de vue mathématique, le très grand nombre de véhicules augmente énormément la complexité du problème d’optimisation à résoudre. L'essentiel de notre approche consiste à se focaliser sur la proportion de véhicules qui rechargent dans des plages horaires et des types de comportements adaptés.

Auteur

Laurent Pfeiffer

Poste

Chercheur Inria membre de l’équipe DISCO

« Ce contexte applicatif, poursuit Laurent Pfeiffer, fait écho à une théorie mathématique qui a connu un développement fort, notamment en France, ces quinze dernières années : la théorie des jeux à champ moyen ». Cette théorie s’intéresse à modéliser des situations avec un grand nombre d’agents. Chaque agent adopte un comportement, mais les interactions entre eux créent une interdépendance où les décisions de chacun influencent celles des autres.

Et pour améliorer les possibilités de programmation, augmenter la vitesse d’exécution et assurer la confidentialité, les chercheurs de DISCO ont aussi contribué au choix d’un outil : l’algorithme de Frank-Wolfe qui permet, en outre, de décomposer les tâches. Cela permet de répartir le travail et d'effectuer des résolutions en parallèle, rendant le processus plus rapide et plus efficace. Cette décomposition va servir sur les parkings des voitures électriques. “Chaque itération de l’algorithme repose sur des calculs effectués indépendamment les uns des autres : un type de calcul pour les modèles de véhicules X, un autre pour les modèles Y, etc.”

Un prototype qui passe l’échelle 

Au début de cette collaboration, les recherches se sont concentrées sur une formulation très abstraite du problème, où les véhicules n’étaient pas représentés, mais plutôt un ensemble de variables mathématiques. Dans un deuxième temps, les chercheurs ont élaboré un modèle plus simplifié, mais plus concret. « Nos variables portaient sur l’état de charge de chacune des batteries au cours du temps, nous avions plusieurs types de véhicules, nous savions si elles étaient en pause, consommaient de l’énergie ou en redistribuaient sur le réseau, etc. » Avec 2000 voitures en chargement, ce prototype de recherche a démontré sa capacité à monter en dimension, là où des logiciels commerciaux échouent avant même d'atteindre la moitié de la charge.

“Le contexte industriel avec EDF a du bon pour nos travaux, conclut Laurent Pfeiffer. C’est une source d’inspiration qui nourrit nos réflexions et nous motive pour aborder des problèmes réels.

Quant au déploiement à grande échelle, RTE, le gestionnaire du réseau, estime que sur la base de 15,6 millions de véhicules électriques en 2035, le chargement intelligent “peut permettre une économie pour la collectivité française de l’ordre de 900 millions d’euros par an.”

Défi Inria-EDF

Ces travaux se poursuivent désormais dans un cadre plus large. Disco est en effet l’une des dix équipes impliquées dans le Défi Inria-EDF intitulé ‘Gérer les systèmes électriques de demain’. Lancée en 2023, cette action de recherche transversale vise à concevoir toute une série d’outils innovants de gestion sur lesquels EDF va s’appuyer pour opérer sa transition vers les énergies renouvelables.

L’équipe-projet Disco et la commande des systèmes complexes

Photo groupe équipe DISCO

L’équipe Disco vient d’être reconduite pour quatre ans, elle travaille sur la commande de systèmes complexes interconnectés. À sa tête : Catherine Bonnet, directrice de recherche, spécialiste de l'automatique. “Historiquement, nous nous sommes intéressés à ce qu’on appelle le contrôle en boucle fermée.” Autrement dit, un système dans lequel, à chaque instant, le contrôleur compare ce qu’il a créé avec ce qu’il voudrait avoir. Donc, au fil du temps, il réagit à des événements. Il adapte alors la commande pour aller vers l’objectif et cela même en présence de retards de communication grâce aux avancées de l'équipe dans ce domaine.

À l'inverse, dans les problèmes d'optimisation étudiés par Laurent Pfeiffer avec EDF, elle, repose sur une commande en boucle ouverte. Tout est défini par avance. Si un événement imprévu se produit, on ne peut pas réagir. “Ce que nous voudrions maintenant, c’est parvenir à combiner ces deux méthodes en nous appuyant sur l'expertise des autres chercheurs de l'équipe en contrôle de systèmes dynamiques en boucle fermée.”

De par son domaine d’expertise, l’équipe Disco arrime ses recherches à des réalités de terrain mais avec une approche très mathématique. “On prend un problème applicatif. On le formalise. On le résout. On apporte ainsi des solutions pour des classes de problèmes qui peuvent ensuite trouver leur utilité dans différent domaines.”

Disco est composée de neuf permanents Frédéric Bonnans, Catherine Bonnet, Islam Boussaada, Ziad Kobeissi, Guilherme Mazanti, Frédéric Mazenc, Silviu-Iulian Niculescu, Laurent Pfeiffer, Giorgio Valmorbida, et un membre associé Ali Zemouche