Neurosciences

Aramis : un pour tous… tous pour le cerveau !

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Mis à jour le 06/12/2023
Le cerveau et ses quelque cent milliards de neurones sont si complexes qu’informatique, mathématiques et neurosciences doivent joindre leurs forces pour parvenir à l’étudier. C’est à cette coopération, riche de perspectives en santé, qu’œuvrent Fabrizio De Vico Fallani et Stanley Durrleman, chercheurs au sein de l’équipe-projet Aramis, du centre Inria de Paris.
Réseaux de neurones du cerveau
© Alina Grubnyak, Unsplash

Quelles sont les forces de l’équipe-projet Aramis, dans laquelle vous travaillez ?

Fabrizio De Vico Fallani : L’un de ses points forts est que chacun de ses membres mène des recherches complémentaires à celles de ses collègues, mais avec un même objectif : améliorer la compréhension de certains phénomènes pathologiques, notamment à partir de données de neuro-imagerie, et identifier des biomarqueurs pour prédire l’évolution de maladies comme Alzheimer ou la récupération de patients après un accident vasculaire cérébral (AVC).

Stanley Durrleman : L'Institut du cerveau (ICM) a été créé à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, il y a dix ans. Les recherches se sont, au départ, concentrées sur la recherche clinique, puis la biologie fondamentale mais rapidement, il a fallu faire dialoguer ces disciplines avec les mathématiques et l’informatique. Et c’est toute la raison d’être d’Aramis, qui est intégrée au sein de l'ICM et commune avec le CNRS, l'Inserm, Sorbonne Université et Inria. Pour ses membres, c’est un "terrain de jeu" exceptionnel, avec des problèmes complexes à résoudre dans les sciences du vivant comme dans les sciences dites dures.

Comment naissent les projets de recherche à la jonction de la médecine, de l’informatique et des mathématiques ?

FDVF : Nous avons d’une part des neurologues de la Pitié-Salpêtrière directement intégrés dans l’équipe et d’autre part, au sein de l’Institut du cerveau, une trentaine d’autres équipes de recherche que nous rencontrons, au gré de projets, de réunions, ou des couloirs… et c’est ainsi que naissent de nouveaux projets.

Certaines questions de biologie ont besoin de l’apport des mathématiques pour trouver une réponse et à l’inverse, certaines recherches en mathématiques ou informatique ont besoin de matière biologique pour s’appliquer. Nos projets se trouvent à cette croisée des chemins !

SD : Nos collaborations avec les autres équipes du site et avec les sciences du vivant peuvent être occasionnelles ou récurrentes, mais c’est en effet toujours une histoire de rencontres, d’alignements qui se font : la bonne personne, le bon sujet, au bon moment. Nous nous influençons aussi les uns les autres quant à la façon de réfléchir à nos problématiques. C’est un enrichissement permanent.

Quels sont précisément vos domaines d’études ?

FDVF : J’ai deux axes de recherche : l’un théorique, l’autre plus appliqué. Le premier consiste à étudier le cerveau en tant qu’ensemble de réseaux. À partir de techniques de neuro-imagerie, nous modélisons ces réseaux : les différentes régions cérébrales sont modélisées comme des nœuds, reliées entre elles par des connexions. Les réseaux du cerveau deviennent alors des objets mathématiques, connus sous le nom de graphes. Et cette modélisation nous permet de traduire un système très complexe en chiffres très simples que l’on peut utiliser et interpréter.

C'est un peu comme si nous étions au volant d’une voiture très sophistiquée : nous ne comprenons pas toutes les interactions entre les pièces mais en ayant accès à certaines informations clés, nous pouvons la conduire !

L’axe pratique concerne quant à lui l’interface cerveau-machine (BCI, pour brain-computer interface). L’objectif de ces recherches est d’enregistrer l’activité cérébrale d’un sujet, de manière non invasive, grâce à des capteurs posés sur le crâne, et de permettre à un ordinateur de deviner son intention. Afin qu’il puisse contrôler ensuite un dispositif extérieur, comme un bras robotique, en fonction de cette intention. Nous étudions également le "neurofeedback", c’est-à-dire la façon dont le cerveau se réorganise, dont ses réseaux se modifient, lorsque l’intention se concrétise.

 

 

SD : Mon but est de pouvoir prédire le vieillissement cérébral. La difficulté est que nous ne disposons pas de bases de données médicales où des sujets auraient été suivis fréquemment sur de grandes périodes de temps. Nous avons quelques images ou observations cliniques de certains patients sur plusieurs années, mais à des âges et des stades de maladie différents. Il a donc fallu réussir à construire un modèle d’apprentissage statistique à partir de telles observations. C’est ce que nous a permis de réaliser une bourse ERC Starting Grant entre 2016 et 2020. Nous disposons à présent d’un modèle numérique personnalisable : en entrant les données d’un patient, je peux prédire comment son cerveau va évoluer dans les années à venir et la façon dont ces altérations cérébrales vont se traduire par l’apparition ou l’aggravation de certains symptômes.

Quelles sont les applications attendues de vos recherches ?

FDVF : Je viens d’obtenir une bourse européenne ERC Consolidating Grant pour cinq ans, avec comme projet de combiner mes deux axes de recherche. En effet, les BCI existantes fonctionnent en oubliant que le cerveau est un système de réseaux connectés entre eux et il y a un grand taux d’erreur. Nos études théoriques ont donc pour mission de nous aider à mieux modéliser ces réseaux et leurs connexions pour ensuite imaginer une BCI plus performante.

Pour les victimes d’AVC, un tel outil, capable notamment de prendre en compte le neurofeedback, pourrait faciliter la réhabilitation neuromusculaire, c’est-à-dire faciliter le rétablissement de la communication entre les neurones et les muscles.

C’est un projet qui vient de débuter, donc il faut attendre quatre ou cinq ans avant d’en voir la concrétisation.

SD : Nous avons deux types d’applications à l’étude. La première est destinée à la pratique clinique et sera mise en place à partir de cet été : elle consiste en un outil d’aide à la décision pour les neurologues. Les données d’un patient qui arrive pour une suspicion d’Alzheimer par exemple seront intégrées à notre modèle personnalisable et le neurologue aura accès à la prédiction d’évolution que fera notre modèle. Nous allons voir à quel point les neurologues de l’Institut de la mémoire et de la maladie d’Alzheimer, avec lesquels nous collaborons, peuvent s’approprier cet outil et les possibilités qu’il leur offre.

 

 

La deuxième application est du domaine de la recherche pharmaceutique. Parmi toutes les molécules testées jusqu’ici contre des maladies comme Alzheimer ou Parkinson, peut-être y en a-t-il qui pourraient être efficaces… mais peut-être n’ont-elles pas révélé leur potentiel lors des essais cliniques car elles n’ont pas été administrées au bon patient au bon moment. Avec notre modèle, il serait possible d’éviter cet écueil et de traiter les patients au moment où les effets de la molécule seraient potentiellement optimaux. Nous avons un projet de collaboration en cours avec Sanofi pour développer cette idée.