La Blockchain est présentée, depuis plusieurs années, comme l’une des technologies les plus disruptives. Si plusieurs secteurs devraient pouvoir, à terme, profiter de sa force de frappe, une industrie s’est déjà emparée du sujet depuis plusieurs années : la finance.
Des avantages incontestables pour une industrie transformée en profondeur
Et pour cause. La Blockchain, en tant que technologie de registre distribué (DLT), semble avoir le potentiel de transformer des institutions financières bien établies.
Parmi ses avantages : la réduction des coûts. En jouant le rôle de tiers de confiance dans les transactions grâce à son réseau "peer-to-peer", la Blockchain permet en effet de supprimer certains intermédiaires aujourd’hui matérialisés par des institutions financières… et par conséquent de réduire les coûts liés aux transactions.
Une fluidification des processus qui entraine également une exécution bien plus rapide des transactions. « À partir du moment où l’on passe de l’achat du titre à son règlement de livraison en quelques minutes, contre quelques jours en temps normal, c’est très intéressant pour un investisseur », précise Nadia Filali.
La transparence et le renforcement des interactions entre les usagers font, eux aussi, partie des avantages non négligeables de la Blockchain dans le secteur de la finance. La finance est, en effet, un secteur dans lequel ses acteurs interagissent continuellement. En ayant accès à l’ensemble de l’historique des transactions de manière cryptée et protégée, la Blockchain offre à ses usagers une meilleure transparence et une authentique traçabilité.
Au-delà des gains d’efficacité, l’augmentation de la liquidité sur le marché de l’investissement au travers d’une blockchain est, enfin, une avancée considérable dans le secteur : « Évidemment, le système est plus fluide, vous pouvez "tokeniser" des actifs du marché, et diviser sur des montants plus faibles afin de permettre à tout un chacun d’investir plus facilement sur ce marché et donner de l’essor au marché des titres des PME non coté notamment, plus risqué en termes de perspectives de revenus et sur lequel seul des acteurs avisés sont présents », explique Nadia Filali.
Des questions de gouvernance et de modèle économique
Malgré cela, la technologie Blockchain se heurte à un certain nombre d’obstacles empêchant encore son adoption dans le secteur de la finance. « La technologie fonctionne. Elle a des atouts non négligeables en termes de coût, de transparence, et de performance, mais elle a encore de nombreux impacts sur l’écosystème qu’il est nécessaire de ne pas négliger », explique Nadia Filali.
La première problématique qui se pose est d’ordre économique. Depuis la loi PACTE, les émetteurs ont désormais la possibilité d’émettre des bons de caisse ou, plus largement, des titres financiers non admis aux opérations d’un dépositaire central ou livrés dans un système de règlement-livraison sur un Dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP), c’est-à-dire une blockchain.
Des processus fluidifiés, accélérés et sécurisés, qui menacent d’une part les postes d’opérateurs intermédiaires, mais également d’autre part, ceux qui se rémunéraient jusqu’ici grâce à du prêt emprunt-titre sur la période d’achat-revente (d’une durée initiale de deux à trois jours).
La réglementation, elle, bouge encore difficilement. Les marchés financiers sont en effet aujourd’hui contraints par de nombreuses réglementations dont l’objectif premier est de renforcer la protection des investisseurs, créant des contraintes opérationnelles fortes. « Les régulateurs, partout, s’emparent du sujet. Au niveau européen, un règlement sur les actifs numériques doit être déployé en 2024 et des adaptations sont nécessaires sur la gestion des actifs financiers tokénisés mais en attendant cela bloque pas mal l’innovation au niveau européen », précise Nadia Filali.
À commencer par la finance décentralisée, une révolution pour certains, qui permettra d’atteindre la finance sans intermédiaire et sans banque. Un sujet qui pose une véritable question de gouvernance en ne permettant pas toujours d’identifier qui est, notamment, l’émetteur des titres.
Autre problématique importante dans le secteur : l’absence d’équivalent en cash lorsque l’on traite des titres sur la Blockchain. Pour répondre à cela, des monnaies digitales de banques commerciales sont en expérimentation, avec pour objectif principal de fluidifier le traitement des titres sur cette infrastructure. Une avancée qui ne pourra être rendue possible que lorsque la validité juridique, opérationnelle et technologique de ces monnaies virtuelles pourra être prouvée.
Enfin, il existe encore, et sans surprise, un véritable problème d’acculturation sur les blockchains dans les banques et chez les régulateurs, occasionnant un décalage entre les avancées technologiques et l’adoption des innovations en interne.
Les acteurs s’organisent
En attendant que les principaux verrous réglementaires soient levés, les acteurs privés et publics du secteur s’organisent, et travaillent main dans la main au déploiement de blockchains privées et plus sécurisées.
La Commission européenne lançait ainsi en 2018 INATBA, une association européenne dédiée à la réglementation de la Blockchain et des cryptomonnaies au sein de l’Union européenne. L’association, qui compte près de 167 membres actifs issus de 15 pays d'Europe, d'Amérique du Nord, d'Afrique et d'Asie, compte à ce jour 14 groupes de travail couvrant la finance, la gouvernance, l'éducation, les soins de santé, l'identité, ou encore l'action climatique. Ses objectifs : développer des modèles de gouvernance et de coopération transparents et inclusifs pour les applications Blockchain, informer des mesures politiques et réglementaires qui peuvent contribuer à exploiter les nombreuses opportunités de la Blockchain à travers un dialogue étroit avec les décideurs politiques et les régulateurs, et enfin promouvoir la convergence réglementaire qui conduit les impacts potentiels de ces technologies pour la société et l'économie.
En France, outre quelques startups spécialisées dans le domaine, de grandes entreprises se sont saisies du sujet, à l’image du Groupe la Poste, d’EDF, d’Engie et de la Caisse des Dépôts. Ces derniers se sont ainsi associés autour du projet Archipels, qui développe une plate-forme de services de confiance numérique sur Blockchain et offre des services de certification documentaire afin de faciliter le KYC (Know you customer) et la gestion de l'identité des utilisateurs (Self Sovereign Identity).
Le Groupe Caisse des Dépôts, qui s’est intéressé à la Blockchain dès 2015 en créant LaBChain, le premier consortium européen dédié aux technologies Blockchain dans le secteur banque-finance-assurance aux côtés de 35 partenaires (AXA, Groupama, Allianz, Nomadic Labs, Société Générale, etc.), a par ailleurs lancé cette année avec BNP Paribas, Crédit Agricole, Tokeny et The Blockchain XDEV, un projet combinant leurs expertises pour explorer l'utilisation potentielle et les implications de la création d'une monnaie numérique interbancaire.