Brain Computer Interface

Intelligence artificielle et apprentissage : des recherches au cœur de l’IA

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Mis à jour le 17/10/2024
L'intelligence artificielle (IA) est un domaine des sciences du numérique qui suscite un intérêt croissant ces dernières années. En effet, l'IA a révolutionné de nombreux secteurs, de la santé à la finance en passant par l'éducation. L'apprentissage est l'un des piliers fondamentaux, le « cœur de l’IA », et de nombreuses équipes de scientifiques du Centre Inria de l’université de Bordeaux s'y intéressent directement.
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L'apprentissage consiste à modifier son comportement en fonction de l'expérience acquise, que ce soit pour un individu ou pour un ordinateur. Effectivement, tout comme les êtres vivants, une machine peut apprendre à modifier son comportement en fonction de ses interactions avec le monde. « Même si de nombreuses équipes du Centre Inria de l’université de Bordeaux travaillent sur les ‘applications de l’intelligence artificielle’, certaines travaillent sur le ‘cœur de l’IA’. Plus précisément, nous considérons trois cas particuliers d’étude dans cette situation : apprendre quand c’est difficile d’apprendre ; apprendre à apprendre et à raisonner ; et rendre l’apprentissage plus adapté à des environnements humains » explique Frederic Alexandre, responsable de l’équipe-projet Mnemosyne.

Apprendre quand c’est difficile d’apprendre

Pour une intelligence artificielle, apprendre quand c'est difficile d'apprendre peut poser plusieurs défis majeurs. L'une des raisons principales est la qualité des données utilisées. En effet, si les données sont bruitées, corrompues, instables, incomplètes ou incohérentes, cela peut compromettre la capacité de l'IA à tirer des conclusions précises. Pour pallier cela, les scientifiques doivent développer des méthodes robustes capables de traiter de grands corpus de données tout en minimisant l'impact environnemental et financier. « Par exemple, chez Potioc, nous travaillons sur la thématique des BCI (Brain-Computer Interfaces), c’est-à-dire des systèmes qui traduisent une mesure de l’activité cérébrale en des commandes ou messages pour une application interactive. Par exemple, une BCI peut reconnaitre qu’un utilisateur imagine un mouvement de la main gauche ou droite dans ses signaux cérébraux, afin de faire bouger un curseur vers la gauche ou droite, respectivement. 

Pour cela, nous traitons et analysons des signaux cérébraux électro-encéphalographiques (EEG) (à l’aide d’électrodes posées sur la tête des utilisateurs) pour essayer d’estimer et d’identifier l’état mental de l’utilisateur dans ses signaux EEG, à l’aide de méthodes d’IA. Ainsi, si les électrodes sont mal placées, si elles bougent, si elles sont bruitées par des signaux électromagnétiques (provenant de téléphones portables par exemple) ou si la personne pense à autre chose que ce qu’il faut pour contrôler le système, nos données peuvent être bruitées, instables et/ou corrompues. Nous développons donc des algorithmes robustes, capables de gérer ces sources de bruits et d’instabilité, pour avoir les meilleurs résultats possibles, et donc bien reconnaitre les commandes mentales de l’utilisateur, malgré ses problèmes », éclaire Fabien Lotte, responsable de l’équipe-projet Potioc.  

Un autre défi majeur pour les IA est le manque de données en quantité suffisante. Dans ce cas-là, les scientifiques peuvent utiliser différentes approches, comme l'apprentissage faiblement supervisé, le transfert d’apprentissage, ou encore les modèles génératifs pour créer des données synthétiques. « Pour des applications à des types de cancers rares, il est crucial de développer des algorithmes capables de fonctionner efficacement même avec un nombre limité de données, précise Olivier Saut de l’équipe-projet Monc. Dans notre équipe, nous développons différentes approches pour coupler nos modèles de prédiction de l’évolution de la maladie aux données cliniques. En particulier, nous nous intéressons à l’incorporation de contraintes physiques dans les modèles, au transfert de tâches, et aux modèles génératifs de type diffusion pour l’augmentation de données. Dans tous les cas, les modèles doivent être suffisamment parcimonieux pour être interprétables. »

Enfin, la disponibilité progressive des données pose également un challenge pour les IA. L'apprentissage continu, où l’ordinateur doit intégrer de nouvelles informations tout en conservant des connaissances précédemment acquises, représente un défi scientifique complexe. Par exemple, les scientifiques de l’équipe-projet Flowers cherchent à comprendre, d’un point de vue cognitif, comment les humains et les machines peuvent acquérir efficacement les modèles du monde ainsi que des répertoires de compétences ouverts et cumulatifs sur une longue période. L’équipe-projet Mnemosyne, de son côté, va s’intéresser à la question d’un point de vue neurobiologique : « La distinction entre les différentes formes de mémoire explique comment on est capable d’apprendre de manière autonome au cours de la vie. Chez Mnemosyne, nous nous attachons donc à modéliser cela » ajoute Frederic Alexandre. 

Apprendre à apprendre et à raisonner

Dans le domaine de l'intelligence artificielle, lorsque celle-ci rencontre des difficultés d'apprentissage, une approche prometteuse est d'adopter une démarche de métacognition (apprendre à apprendre). Chez un être humain, cette dernière consiste à se concentrer non pas sur les éléments extérieurs, mais sur ce qui se passe dans notre propre esprit. La métacognition implique deux étapes clés : l'évaluation de notre confiance dans nos propres compétences et connaissances et l'adaptation de notre manière de penser en conséquence. En se questionnant sur nos propres objectifs et en explorant des alternatives créatives, on peut améliorer significativement notre processus d'apprentissage. « Nous modélisons les bases neurobiologiques du contrôle cognitif, c'est-à-dire comment nous apprenons à modifier notre comportement en fonction du contexte : un processus fondamental pour la créativité, souligne Chloé Mercier, chercheuse chez Mnemosyne. 

Avec l’action exploratoire AIDE notamment, nous utilisons des outils informatiques issus de la représentation des connaissances et de l'apprentissage machine, afin de mieux formaliser l'apprentissage humain et la créativité tels qu'étudiés en sciences de l'éducation. Autrement dit, nous cherchons à "traduire" des phénomènes et concepts étudiés en sciences de l'éducation en termes informatiques, ce qui nous permet d'appliquer des algorithmes pour simuler ou expliquer ces phénomènes. Cette formalisation permet aussi de dialoguer plus facilement avec des collègues dans d'autres disciplines comme les neurosciences computationnelles. Ainsi, nous profitons des avancées en neurosciences et en intelligence artificielle pour mieux comprendre comment nos enfants apprennent. »

Par ailleurs, l'apprentissage du raisonnement est un aspect essentiel à prendre en compte dans le développement de l'intelligence artificielle. « Dans notre équipe, nous nous intéressons au grand potentiel adaptatif des systèmes de formation informatisés pour l'apprentissage à l'école ou le développement de compétences via des entraînements cognitifs ou des programmes de rééducation quand il s'agit de patients, indique Hélène Sauzéon, professeure au sein de l’équipe-projet Flowers. En intégrant des algorithmes qui maximisent les progrès d'apprentissage de l'apprenant, ou encore en instaurant un dialogue avec l'apprenant où le système l'invite à évaluer ses capacités à réussir un exercice, à planifier sa stratégie de résolution, ou encore à analyser le pourquoi de ses réussites et échecs, cela permet de personnaliser l'apprentissage en termes de difficulté de la tâche tout en capacitant l'élève d'outils métacognitifs qui vont permettre à l'élève de s'engager (se motiver) durablement dans ses apprentissages. Ces boucles synergiques entre apprentissage, motivation et métacognition seraient effectives tout au long de la vie, de l'enfant à un âge avancé. »

Rendre l’apprentissage plus adapté à des environnements humains

Les équipes du Centre Inria de l’université de Bordeaux travaillent également à rendre l’apprentissage plus adapté à des environnements humains. Pour cela, plusieurs approches sont envisageables. Il est possible d'établir des liens avec les connaissances déjà existantes en faisant appel à des experts dans divers domaines, tels que l’équipe-projet Sistm qui fait appel à des médecins pour organiser ou exploiter des données épidémiologiques, ou encore l’équipe-projet Memphis qui fait appel à des notions de physique. « Dans le domaine de l'énergie, par exemple, nous apprenons à simuler différents phénomènes grâce à l'IA combinée aux principes physiques (écoulements, structures, météo), aux équations qui les décrivent et aux données collectées. Cela est particulièrement utile lorsque la simulation numérique que nous souhaitons réaliser nécessite des discrétisations extrêmement fines, entraînant des temps de calculs trop longs » détaille Angelo Iollo, responsable de l’équipe-projet Memphis. En combinant ces connaissances et expertises avec des algorithmes d'apprentissage, les scientifiques favorisent l'explicabilité des résultats obtenus. Cette approche permet ainsi aux experts d'expliquer les termes utilisés, rendant ainsi les algorithmes plus compréhensibles et acceptables pour les utilisateurs finaux.

L'expérience utilisateur joue également un rôle crucial dans l'adaptation de l'apprentissage aux environnements humains. Pour cela, les scientifiques peuvent utiliser le langage naturel et de la multimodalité ; comme par exemple l’équipe-projet Mnemosyne qui associe des modèles de langage et de l’imagerie cérébrale pour comprendre les bases biologiques du langage. Les chercheuses et les chercheurs peuvent également utiliser les BCI pour évaluer l’expérience utilisateur (par exemple, la charge mentale expérimentée par les utilisateurs d’une interface humain-ordinateur), comme l’équipe-projet Potioc qui cherche à estimer des neuro-marqueurs de cette expérience utilisateur, dans les signaux EEG et les signaux physiologiques (le signal cardiaque notamment) des utilisateurs. En dernier lieu, les scientifiques peuvent également prendre en compte l’environnement social et culturel pour rendre l’apprentissage plus adapté à des environnement humains, comme l’équipe Flowers qui étudie comment des aspects éco-evolutionaires et socio-culturels peuvent être intégrés dans de nouveaux paradigmes d’IA.