L’adaptation aux mouvements, un critère d’évaluation pertinent
Après une commotion cérébrale, un athlète suit une procédure de récupération progressive qui inclut la disparition des symptômes cliniques et le retour à des fonctions cognitives et d'équilibre normales. Cependant, de nombreuses études montrent qu’il existe un décalage entre les symptômes cliniques (les symptômes évalués par le médecin et facilement mesurables), qui permettent de prendre la décision du retour au jeu pour le sportif, et les symptômes physiologiques fonctionnels (les fonctions internes du cerveau, en particulier les mécanismes de la perception et de l’action), qui vont persister alors même que les joueurs et les joueuses sont déjà de retour sur le terrain. Parallèlement, les statistiques montrent qu'un joueur ayant déjà subi une commotion a plus de risque d'en subir une autre ou d'avoir des troubles musculosquelettiques durant le match.
C’est sur ce constat que les travaux d’Anne-Hélène Olivier se basent. Maîtresse de conférences à l’UFR STAPS de l’Université Rennes 2, et chercheuse au sein du laboratoire M2S et de l’équipe VirtUs d’Inria, elle travaille sur la détection de commotion cérébrale chez les rugbymen à partir d’analyses de comportements d’évitements de piétons, c’est-à-dire la manière dont nous produisons une trajectoire adaptée à notre environnement, que ce soit dans la marche ou dans des situations sportives. L’objectif : comprendre quels sont les indices visuels qu'une personne va récolter sur le mouvement de l'autre, sous quelles conditions elle va adapter sa trajectoire pour produire un mouvement approprié à la situation, quelles adaptations de mouvement sont effectuées.
« Nous avons fait beaucoup de travaux sur des populations jeunes et saines, et ce paradigme nous a permis de mettre en avant des lois de mouvement, des invariants dans la décision et l'action. À présent, nous utilisons ce paradigme justement chez des publics spécifiques, que ce soit pour comprendre les effets de l'avancée en âge sur la manière dont les personnes se déplacent dans un environnement, mais également sur des populations sportives et en particulier les joueurs et les joueuses de rugby qui ont subi une commotion cérébrale », explique Anne-Hélène Olivier.
Pour cela, l’équipe-projet VirtUs fait évoluer deux personnes au cœur d’un gymnase, équipées de casques de vélo bardés de capteurs permettant de mesurer leur position et mouvements relatifs. Des expérimentations qui ont permis de confirmer une différence d’adaptation à leur environnement entre des joueurs ou joueuses qui ont eu une commotion cérébrale dans les six derniers mois, avec des prises de décision plus risquées ou inappropriées lors des croisements, et des joueurs ou joueuses qui n’ont pas eu de commotion.
Vers des résultats plus précis avec la réalité virtuelle et l’IA
Des résultats qui ont poussé l’équipe-projet à aller plus loin dans ses travaux sur le sujet, en se tournant progressivement vers des tests en réalité virtuelle pour plus de précision. Au lieu d'interagir avec un véritable joueur, l’athlète sera donc face à un humain virtuel dont le mouvement sera parfaitement contrôlé, et reproductible à l'infini.
Verbatim
Notre objectif, c'est de pouvoir suivre les athlètes commotionnés dans des conditions standardisées, sur du long terme. C’est-à-dire de pouvoir faire des mesures toujours dans les mêmes conditions, pour voir s'il y a une évolution. Et ça, dans la réalité, en laboratoire, c’est très complexe voire impossible à faire.
Si les chercheurs et chercheuses se concentrent pour le moment sur des tâches simples de croisement entre deux marcheurs, ils prévoient de faire évoluer leurs modèles vers des situations plus complexes. Des tâches plus dynamiques, comme la course, sont ainsi envisagées, avec beaucoup plus de pression temporelle : « La réalité virtuelle nous permet déjà d'ajouter des doubles tâches, par exemple, qui peuvent nous permettre de complexifier des situations. L'arrivée de l'intelligence artificielle pourra ensuite nous permettre de reconstruire des situations de jeu », précise la scientifique.
À terme, l’objectif des travaux portés par Anne-Hélène Olivier est de se positionner en complément d'un diagnostic médical, d’être en mesure de donner des indices, des biomarqueurs supplémentaires pour orienter la décision du médecin sur la bonne date de retour au jeu et surtout contribuer à la communauté scientifique sur la compréhension des symptômes de la commotion. « Nous voyons bien que c'est multifactoriel, multivariables, donc effectivement, on a besoin d'un travail collaboratif avec l'ensemble des intervenants autour de ce domaine pour avancer », conclut-elle.